Au Tadjikistan, lorsque les musiciens évoquent les qualités indispensables à la pratique du chant, ils insistent sur l’adéquation nécessaire entre le sens de la poésie chantée, leur ressenti personnel, celui de l’auditoire, et le contexte de la production. Dans le cadre de ma thèse en anthropologie, j’explore comment cette adéquation est construite dans des lieux sociaux différents, selon des répertoires et des formes musicales et poétiques différenciés, et finalement comment se définit une esthétique socio-musicale de la proximité.
Mon étude est basée sur des circonstances diverses où interviennent aussi bien le répertoire « classique » du shash-maqâm queles genres « populaires », le chant falak (chant de « destinée ») pratiqué dans un cadre intime ou collectif, le chant de poèmes mystiques lors d’un banquet de tuy (organisé pour célébrer les rites de passage). Le contexte peut également être celui de concerts : à la Radio d’Etat, ou de « musique traditionnelle » à l’étranger, ou encore de musique « pop », comme ceux d’une leçon au Conservatoire, d’une réunion des anciens du village, etc. Dans tous ces cas, chaque chanteur adapte sa pratique en fonction des contraintes sociales et/ou rituelles du contexte. Mais il opère aussi un choix personnel du poème et du genre musical, choix qu’il revendique comme guidé par son intuition propre du contexte. Plus largement, le sens du chant est investi de représentations d’un espace, d’un temps et d’une sensibilité spécifiques : un quatrain de Khayyâm chanté en falak constitue non seulement l’expression de la destinée humaine, mais peut aussi être rapporté à un environnement naturel précis (par exemple la vallée d’origine du chanteur), à un événement (le décès du fils de l’un des invités) ou au contexte présent (réunion entre amis). Parfois sources de contradictions, ces choix sont aussi souvent révélateurs des réseaux de sociabilité dans lesquels le chanteur s’inscrit : école ou style musical, origine régionale, appartenance à un cercle littéraire, etc. Pour en rendre compte, je propose de discuter lors de ce séminaire les notions de convivialité, de proximité et d’affinité en termes sociaux et musicaux.
Le séminaire du CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie) a lieu deux lundis par mois, de 10h à 12h. Les chercheurs (doctorants compris) membres du CREM ou invités de passage y présentent leurs travaux en cours. Les présentations durent 50 minutes, et sont suivies d’une pause café et d’une heure de discussion.
Occasionnellement, le séminaire prend la forme d’un atelier rassemblant plusieurs chercheurs autour d’un thème commun. Il dure alors un après-midi ou bien une journée complète.
La participation au séminaire est ouverte à tous. Il fait par ailleurs partie du cursus des Master d’ethnomusicologie des universités Paris Nanterre et Paris 8 Saint-Denis.