Au Bastar en Inde centrale, certaines musiques rituelles permettent - grâce à des traits esthétiques bien choisis - de diffuser des “êtres sonores” dans l'espace et dans le temps. En remplissant l'environnement de leur énergie et de leur nature fluctuante, la musique pénètre, influence voire transforme certains éléments, qu'ils soient au départ animés ou inanimés. Lors de cette présentation, je ferai une comparaison entre la musique et l'alcool, présentés dans un contexte rituel en tant que substances ontologiques matérialisant le monde invisible, en tant qu'agents de métamorphose dans un univers constitué d'éléments fluides et contagieux organisés en catégories poreuses.
Comme le panthéon qu'il sert, le répertoire musical n'est vécu et ne prend forme que pendant le rituel, par les interactions continuelles entre les musiciens et les médiums possédés par les divinités. Répondant au caractère imprévisible des divinités, la structure musicale est extrêmement flexible. Les musiciens, agissant et réagissant au “jeu des dieux”, jouent des séries ininterrompues d'airs qui chacun présentifient les nombreuses divinités sous forme sonore. Mais la véracité de la possession n'est jamais complètement certaine, constamment commentée et discutée par le public villageois.
Malgré son bas statut social, le musicien a la responsabilité de choisir tout au long du rituel les airs et la manière de les jouer et joue donc un rôle essentiel dans le jugement -musical- de qui est Qui : qui est réellement possédé par un dieu, qui fait semblant de l'être ou qui est simplement saoul, c'est-à-dire – en termes rituels - enivré par un ancêtre.
Nous verrons ainsi qu'interpréter ce répertoire musical n'est rien d'autre qu'interpréter la nature de la possession (qui inclut parfois l'ivresse) pour pouvoir
interpréter, dans tous les sens du terme, le panthéon.
Cette séance fait partie d'une série de trois sur le théme
Modes d'existence et formes d'action dans l'expérience auditive (coord.
Victor A. Stoichiță). Les deux autres séances sont :
Le séminaire du CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie) a lieu deux lundis par mois, de 10h à 12h. Les chercheurs (doctorants compris) membres du CREM ou invités de passage y présentent leurs travaux en cours. Les présentations durent 50 minutes, et sont suivies d’une pause café et d’une heure de discussion.
Occasionnellement, le séminaire prend la forme d’un atelier rassemblant plusieurs chercheurs autour d’un thème commun. Il dure alors un après-midi ou bien une journée complète.
La participation au séminaire est ouverte à tous. Il fait par ailleurs partie du cursus des Master d’ethnomusicologie des universités Paris Nanterre et Paris 8 Saint-Denis.