Katell Morand est spécialiste de l’Éthiopie. Après une thèse sur les chants de solitude dans une société paysanne des hauts-plateaux Amhara, elle poursuit ses recherches sur les questions de la mémoire, des émotions et de l’apprentissage, en croisant les perspectives de l’ethnomusicologie, de l’ethnolinguistique, et des sciences de la cognition.
Membre du comité de rédaction des Cahiers de littérature orale
Cet article porte sur la pratique dite privée du chant chez les paysans Amhara du Goğğam, en Éthiopie. Il se penche sur ce qu’il se passe dans les interstices de la vie sociale, lorsque fêtes et commémorations sont passées et que les individus se retrouvent seuls avec eux-mêmes : que chantent-ils, pourquoi, et quel est le statut énonciatif de ces performances sans public ? L’analyse des discours et des poèmes chantés est combinée à une ethnographie de la sphère privée pour saisir la place de ces chants dans l’univers musical des Amhara. Dialogues imaginés et sans cesse réinterprétés, ils n’existent, on le comprend, que par référence à un monde social dont la solitude ne peut être l’échappatoire.
Sur les plateaux éthiopiens du Goğğam, les bergers passent une grande partie de leur temps à siffler, chanter ou jouer de la flûte. Ces forêts sont des lieux à la marge de la vie sociale, peuplées de bandits. La musique peut être à la fois considérée comme un outil de contrôle de cet espace sauvage, et comme un risque de se faire entendre des rôdeurs malveillants de la forêt. La musique est donc un acte de bravoure en même temps qu’un intense moment de solitude et de vulnérabilité.