À partir de recherches menées au sein de familles transnationales à Paris et à Dakar, cette présentation examine les « morales économiques » : les valeurs qui animent la redistribution des ressources en donnant une signification sociale et morale singulière aux pratiques économiques. En analysant les morales économiques que mobilisent les Sénégalais à Paris dans leurs interactions quotidiennes, cette présentation se situe au carrefour de la recherche ethnographique sur les valeurs qui étayent les systèmes de réciprocité et des recherches des anthropologues linguistiques sur “les éthiques ordinaires” (Lambek 2010 ; Keane 2008, 2010 ; Das 2010, 2012).
Il va être question des migrants de classe moyenne : des Sénégalais instruits de milieu urbain. Ces derniers gèrent soigneusement leurs comportements sociaux pour se donner à voir comme personnes « modernes » et (donc) bien intégrées en France. En même temps, ils essayent de se positionner favorablement dans des réseaux transnationaux de réciprocité et d’échanges familiaux. Ils tiennent tout d'abord à se montrer solidaires avec les membres de leur famille au Sénégal, en même temps qu’ils évitent des contextes en France où d’autres Sénégalais pourraient mobiliser cette même valeur de solidarité pour justifier des demandes d’argent, qu'ils ne souhaitent pas nécessairement honorer. En fait, les personnes rencontrées se montrent pleinement conscients de la nécessité d’une solidarité sélective.
Sur ce terrain transnational, j’explore les postures éthiques adoptées par les locuteurs lorsqu’ils décrivent les pratiques économiques, révélant comment les morales économiques leur permettent de se positionner par rapport aux autres. La mobilisation des morales économiques permet autant d'inclure que d'exclure. Je montre comment à travers leurs pratiques linguistiques, les migrants essaient de se situer en tant que personnes morales au sein des réseaux transnationaux de parenté d'une part et au sein de la société française d'autre part. Les acteurs sociaux mobilisent les morales économiques au cours des interactions afin de reproduire des formes de distinction sociale, renforçant finalement la polarisation sociale au sein des groupes transnationaux.
« Anthropologie à Nanterre » est un séminaire d’anthropologie généraliste, organisé par le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative et le Département d’anthropologie de l’université Paris Nanterre. Le séminaire a lieu un mardi sur deux de 14h à 16h à la MSH Mondes, bâtiment René-Ginouvès, salle 308F (3e étage).
Le programme : semestre 2
Les séances sont ouvertes à toutes et tous.
Organisation : Estelle Amy de la Bretèque, Emmanuel de Vienne (semestre 1) ; Pascale Dollfus, Anne Yvonne Guillou (semestre 2)