[English version below]
À la croisée d’une anthropologie des savoirs et d’une ethnographie du « travail en train de se faire », Christine Jungen étudie les manières dont se construit, au Moyen-Orient, la relation érudite au passé. Cette recherche sur les pratiques archivistiques et historiographiques l’amène, plus largement, à explorer des questions telles que la matérialité du savoir et les environnements dans lesquels celui-ci se constitue, la classification et ses effets, la trace et sa pérennisation, ou encore la circulation des techniques, artefacts et savoirs-faire.
Christine Jungen a auparavant travaillé sur les formes d’attachement, d’alliance et de réciprocité qui se jouent dans les pratiques de l’hospitalité en Jordanie, questions traitées dans son ouvrage Politique de l’hospitalité dans le Sud Jordanien (Paris/Beyrouth, Karthala/IFPO, 2009). Elle s’intéresse également aux problèmes posés par la description ethnographique, et a dirigé sur ce sujet, en collaboration avec Josiane Massart-Vincent et Sylvaine Camelin, l’ouvrage collectif Portraits. Esquisses anthropographiques (Paris, Pétra, 2011).
At the intersection of an anthropology of knowledge and an ethnography of travail en train de se faire, “work being done”, Christine Jungen studies the manners in which the scholarly relationship with the past is studied in the Middle East. This research on the archival and historiographic practices brings her, more largely, to explore questions such as the materiality of knowledge and the environments where knowledge is generated, classification and its effects, traces and their durability, or yet still the circulation of techniques, artefacts, and know-hows.
Christine Jungen formerly studied forms of attachment, alliance, and reciprocity that play into hospitality practices in Jordan, and addressed these questions in her work Politique de l’hospitalité dans le Sud Jordanien (Paris/Beyrouth, Karthala/IFPO, 2009). She also explores the problems posed by ethnographic description, and undertook on this subject, with Josiane Massart-Vincent and Sylvaine Camelin, the collective work Portraits. Esquisses anthropographiques (Paris, Pétra, 2011).
Membre du Conseil scientifique du pôle Egypte-Soudan-Péninsule arabique (ESPAR) (ministère des Affaires étrangères)
2015-2018 Secrétaire de la Bourse Eugène Fleischmann
2019- Co-rédactrice en chef de Terrain (https://journals.openedition.org/terrain/)
Membre du comité de rédaction des Ateliers d'anthropologie
2017- Savoirs et Sociétés (M2) (avec Isabelle Rivoal), Départment d'anthropologie, Université Paris Nanterre
2015-2018 Pratiques de terrain (L3), Département d'anthropologie, Université Paris Nanterre
Sept anthropologues se réunissent pour parler ensemble de la notion de nostalgie. Chacune d’entre elles, à sa manière, se retrouve confrontée à ce sentiment profondément ambivalent à mesure qu’elle pressent ou assiste à la disparition de son « terrain », ce territoire d’étude au long cours propre à chaque anthropologue. Mais d’où cette nostalgie peut-elle bien venir ? Est-elle légitime ? Et si, parfois, les anthropologues avaient de bonnes raisons d’être nostalgiques ? Tels les canaris au fond de la mine, sentiraient-elles « venir le grisou » ? Pour tenter de répondre à ces questions, elles ont choisi de faire un pas de côté par rapport à leur pratique habituelle : en optant pour la fiction, en renouant avec l’écriture créative, en faisant appel à leurs souvenirs, leurs lectures, et en mettant à l’épreuve leur subjectivité.
Qu’est-ce qu’un document d’archives dans le Moyen-Orient contemporain ? Comment le façonner et comment le rendre efficace ? Quels en sont les enjeux de mémoire, de pouvoir, mais aussi de vérité, qui en modèlent les contours ?
En décembre 1972, avec le lancement de la sonde Apollo 17, la Nasa mettait un terme à son programme d’exploration de la Lune. Lorsque cette même année et la suivante, elle envoya Voyager 1 puis Voyager 2 à destination de Jupiter, Uranus, Saturne et Neptune, l’astrophysicien Carl Sagan demanda de fixer sur les sondes une plaque aux dimensions réduites et très légère, qui a atteint la postérité sous le nom de Golden Record. Pour ce « message à destination de possibles civilisations extra-terrestres », Sagan et son équipe choisirent cent dix-huit photographies « de notre planète, de nous-mêmes et de notre civilisation », qu’accompagnaient encore « 90 minutes de la meilleure musique au monde, un essai audio sur l’évolution intitulé The Sounds of Earth, ainsi que des salutations dans une soixantaine de langages humains (et en langage baleine) ».Imaginons.Imaginons que l’occasion soit donnée à une anthropologue de rejouer ce geste. Que choisirions-nous d’envoyer dans l’espace ? Quel serait notre message ? Comment nous accorderions-nous sur son contenu ? Qu’est-ce qui, au regard de l’horizon qui est le nôtre aujourd’hui, mériterait d’être sélectionné, transmis ?
Le livre manuscrit, dont la production s'étale sur près de quinze siècles, est un support historique central de la production écrite en langue arabe. Aujourd'hui, dans le cadre à la fois de programmes savants – le travail codicologique notamment – et de programmes patrimoniaux – les multiples projets de restauration des collections lancés depuis une quinzaine d'années environ –, le manuscrit arabe est enserré dans des régimes de matérialité de plus en plus fins. A partir du cas égyptien, cet article propose une série de vignettes dans les pratiques de préservation des collections de manuscrits, ses dispositifs matériels et ses environnements relationnels. De la lecture à l’œil nu à l'imagerie multispectrale, de la bibliothèque au laboratoire, il s'agit ici de suivre certains des fils qui se nouent dans la saisie de plus en plus subtile des signaux historiques émis par le livre.
De source sûre. Expérimentations croisées sur l’archive. La notion d’archive va-t-elle de soi ? Ainsi, alors que l’historiographie occidentale a imposé l’archive comme fondement de régime de véridiction de l’histoire, deux entreprises concurrentes d’écriture de l’histoire s’affrontent en Jordanie : l’histoire académique d’une part, universitaire, qui a placé l’archive comme source exclusive de vérité objective au cœur de son entreprise historiographique ; l’histoire tribale d’autre part, qui met en compétition différentes modalités d’authentification, entre autorité de la performance orale et autorité de l’écrit, autorité du locuteur et autorité de l’archive. Dans cet article, je reviens sur les étapes qui m’ont progressivement permis de saisir la pluralité des registres dans lesquels se déploie le rapport à l’archive et à l’histoire en Jordanie.
Christine Jungen reminds us that the « Jordanianness » of Transjordan tribes is far from guaranteed. She studies the complexities of the integration of tribes from former Transjordan into Hashemite Jordan using accounts of the rebellions against the State in the town of Kerak, "mother of rebellion." The establishment of the Hashemite kingdom did not lead to the construction of a shared national history that transcends distinctive local identity. On the contrary; local history may give an account that goes against the state narrative: focusing on the concept of rebellion against state power, local history is primarily constructed against the State. In this context, the arrangement of these various narratives, and, more specifically, the link between the regular revival of these stories of revolt on the one hand, and, on the other hand, the declaration of unwavering loyalty to the monarchy is the product of a relationship between Keraki tribes and the Hashemite rule which is based on an interplay of inversion and reversal that is fundamentally ambiguous: supporting the king, and being against the king, swearing allegiance to the monarchy and establishing its status therefore constitute two contradictory aspects of a complex relationship. This relationship is conceptualized and made operative through a thickness of narrative which consists of a "dense" narrative of history. This history is not a means to building a collective identity, nor does it fit in with the national and territorial version of Jordanian history. It is a discursive space in which to build the connection and to conceptualize the terms of the relationship with the monarchy; for it is affiliation to the institution of the monarchy which, in this context, is the basis of belonging to Jordan and to a greater extent, of the Jordanian identity claimed by the Kerakis.