Avec Andrea-Luz Gutierrez Choquevilca (Anthropologue, Maître de conférences à l’EPHE, Laboratoire d’Anthropologie Sociale)
Si la communication humaine excède de loin la dimension du langage articulé, qu’en est-il des autres modalités de productions vocales ou musicales qui émaillent les interactions entre humains et non-humains ? Sous quelles conditions puis-je espérer trouver en l’autre, animal ou esprit, un interlocuteur et un agent ? L’exposé est consacré à la tradition orale et musicale des sociétés amérindiennes Quechua
runa peuplant les rives du fleuve Pastaza aux confins du territoire amazonien au Pérou. A travers la présentation de plusieurs techniques vocales et instrumentales auxquelles les
runa prêtent un caractère performatif dans le domaine de la chasse et des rituels chamaniques, on examinera les enjeux du dialogue noué entre humains et non-humains. La posture animiste – qui accorde à l’autre la position de « sujet », doit en effet compter avec l’incertitude qui entoure l’identification d’un agent et la possibilité pour cet agent d’occuper une position labile : celle d’interlocuteur et/ou d’objet du discours, d’énonciateur multiple ou
in fine, celle de proie objectivée dans une carcasse animale… L’instabilité ontologique qui s’immisce au cours de ces interactions éphémères est abordée du point de vue de la
voix (forme discursive ou musicale), matière et scène de l’interaction entre le chasseur, le gibier, ou entre maîtres
yachak, patients et esprits pathogènes. Nous suggérons à partir de ces matériaux que ce qui est mis en œuvre à travers l’usage de cris, de sifflements ou le recours à des formes musicales et énonciatives spécifiques est un dispositif de fascination auditive, véritable piège à pensée des hommes et des esprits.
Andrea-Luz Gutierrez Choquevilca est maître de Conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, titulaire de la chaire
Religions des indiens sud-américains : sociétés des basses terres et membre du Laboratoire d’Anthropologie Sociale – Collège de France. Elle a consacré sa thèse d’ethnologie à l’étude de la communication rituelle et à l’épistémologie de l’apprentissage parmi les peuples quechua
runa d’Amazonie péruvienne : 2012,
Voix de maîtres et chants d’oiseaux. Pour une étude pragmatique de l’univers sonore et de la communication rituelle parmi les peuples Quechua d’Amazonie péruvienne, Université Paris Ouest-Nanterre.
Cette séance fait partie d'une série sur le théme
Modes d'existence et formes d'action dans l'expérience auditive (coord.
Victor A. Stoichiță). Séances précédentes :
À venir : 2 déc,
Danse, musique, visible et invisible chez les Gnawa du Maroc, avec Jean Pouchelon.
Le séminaire du CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie) a lieu deux lundis par mois, de 10h à 12h. Les chercheurs (doctorants compris) membres du CREM ou invités de passage y présentent leurs travaux en cours. Les présentations durent 50 minutes, et sont suivies d’une pause café et d’une heure de discussion.
Occasionnellement, le séminaire prend la forme d’un atelier rassemblant plusieurs chercheurs autour d’un thème commun. Il dure alors un après-midi ou bien une journée complète.
La participation au séminaire est ouverte à tous. Il fait par ailleurs partie du cursus des Master d’ethnomusicologie des universités Paris Nanterre et Paris 8 Saint-Denis.