Isabelle Rivoal a mené de nombreuses enquêtes ethnographiques au sein de la communauté druze au Proche-Orient. Ses premiers terrains ont été réalisés dans les villages druzes du mont Carmel en Israël. Elle a alors cherché à comprendre tout à la fois la trajectoire historique singulière de cette communauté religieuse et la structure sociale interne singulière d'une communauté initiatique musulmane hétérodoxe. Elle a ensuite ouvert ce premier travail à la comparaison en s'installant pendant plusieurs années dans la région du Chouf au Liban, bastion de la communauté druze libanaise.
Les enquêtes qu'elle y a menées entre 1999 et 2014 l'ont conduit à développer une anthropologie des relations de patronage dans leur épaisseur ethnographique, c'est-à-dire comme relation totale qui informe une grande variété des autres relations sociales articulant l'ethos communautaire. Dans le déploiement de ce travail d'analyse, Isabelle Rivoal a travaillé sur la catégorie des jeunes dans le monde méditerranéen, sur les relations de genre, sur la constitution des territoires locaux, les héritages de la guerre civile libanaise, l'art d'être un leader politique libanais, etc.
Depuis 2022, les enquêtes qu'elle reprend au Liban visent à mettre en perspective les analyses qu'elle a proposées sur le leadership communautaire au Liban, et à questionner le développement de nouvelles formes religieuses plus syncrétique dans une communauté caractérisée par son traditionalisme.
Isabelle Rivoal a mis sa recherche au service de nombreux projets collectifs au fil des années, et a dirigé et co-dirigé une dizaine d'ouvrages et numéros thématiques de revue.
Elle est actuellement éditrice de la revue Social Anthropology / Anthropologie Sociale.
Cet ouvrage a été réalisé en hommage à Laurence Caillet. La cryptographie peut être définie comme l'art de la communication secrète. Il s'agit le plus souvent, mais non exclusivement, d'une opération d’écriture, caractérisée par des procédés de dissimulation de natures diverses. Des textes sacrés aux philosophies de la représentation, des mathématiques à la linguistique, de la théorie de l’information à la théorie quantique ?: les manœuvres de cryptage et de décryptage peuvent être d’une très grande immédiateté et instantanéité ou bien au contraire d’une infinie complexité, et relèvent souvent de véritables pragmatiques interprétatives fondées sur une histoire personnelle partagée ou sur la logique. On met à l’épreuve la sensibilité à l’ambiguïté du signe, en jouant avec la frontière entre l’image (les motifs picturaux) et le texte (les signes graphiques). On instaure un double discours, on entraîne le spectateur dans un parcours qui l’amène à découvrir un contenu supposé connu par avance, à résoudre une énigme, à déchiffrer une écriture secrète, à en dévoiler le sens caché. Un tel suspense parle du désir, de la langue, de la parole, du langage. Les documents explorés ici vont du texte homérique et du déchiffrement du linéaire B au théorème de Gödel et aux pratiques contemporaines des hackers, en passant par les livres secrets des Druzes, les talismans de la Chine et les laques du Japon. On y examine dans chaque cas les jeux formels ou graphiques qui visent à assurer tout à la fois la dissimulation au plus grand nombre et la révélation à quelques élus, ainsi que le contexte social dans lequel ces jeux s’inscrivent.
Depuis le xviiie siècle, on pense que les humains sont dotés d’un sens moral ou d’un sentiment instinctif de ce qui est bien ou mal. Avec cette conception, les valeurs morales ne relèvent plus de la seule métaphysique, mais sont intrinsèquement liées à l’action humaine. De quoi parlons nous quand nous parlons de sens moral : d’un module sélectionné par l’évolution ou des dispositions qui organisent les relations entre humains ? Comment les humains évaluent-ils les situations ? Comment décident-ils de leurs actions et comment jugent-ils les actions d’autrui ? Pourquoi les actions immorales sont-elles parfois socialement vertueuses ? En réunissant des contributions d’anthropologues, de sociologues, de psychologues et de philosophes qui revisitent les débats ayant façonné l’étude du « sens moral » et les méthodologies empiriques dans une visée interdisciplinaire, ce volume pose les bases d’une anthropologie cognitive de la morale.
Dictionnaire de l'humain. Un dictionnaire pour réveiller le thème de l'humain, pour lui faire tenir ses promesses scientifiques, pour faire jaillir sa richesse philosophique. Art, divin, guerre, hominidé, langage, sédentarisation, singe, volonté… : des philosophes, des psychologues, des sociologues...ont ainsi saisi plus de soixante-dix entrées...
La mort est une dimension humaine centrale autour de laquelle toutes les sociétés ont développé un ensemble de croyances et de pratiques, souvent très élaborées et très codifiées. Le « travail du deuil » engage généralement la communauté au-delà des proches du défunt. Il tend à réaliser la séparation entre les morts et les vivants. Enfin, il « construit » le défunt ou mort en ancêtre. Cette exigence a été identifiée dans le travail pionnier de Robert Hertz et sa théorie des doubles funérailles : l'âme du mort est dangereuse pendant une période intermédiaire, ce sont les deuxièmes funérailles qui, en le transformant en ancêtre, en font une entité bienfaisante pour les vivants. Le devenir du corps mort, sa thanatomorphose, est également un sujet central de préoccupation. Le cadavre est le support de représentations diverses, voire de fantasmes, propres à chaque culture, qui vont conditionner les différents types de traitement que l'on va lui faire subir. C'est par l'analyse de ces différents traitements que nous tentons ici de déchiffrer les solutions qu'ont élaborées les sociétés, selon deux approches rarement combinées, celle de l'ethnologie et celle de l'archéologie. Un même fil directeur a conduit ces travaux dont les contextes culturels et géographiques sont variés : celui d'une chaîne opératoire funéraire.
Dans quelle mesure peut-on répondre au projet épistémologique d’Etienne Souriau consistant à saisir l’œuvre d’art comme instauration soit, le questionnement incessant de l’agent par l’œuvre à faire. Comment observer et ethnographier l’instauration, l’épreuve qui consiste à renoncer, effacer, reprendre, répéter ? A partir d’une observation serrée d’un dessinateur de bande-dessinée à sa table graphique, l’article confirme l’intuition de Souriau sur l’importance du tâtonnement dans la recherche de la justesse du trait. Il décrit l’engagement du créateur dans la forme à réaliser et analyse les conditions matérielles et cognitives par lesquelles le dessin trouve sa forme. Enfin, il rend compte de ce qui est finalement instauré par le dessinateur à sa table de travail : une case, une planche… mais aussi un style graphique singulier qui est une quête pour le dessinateur de bande-dessinée professionnel.
This article interrogates the notion that the state in Lebanon is a constantly weakened super structure whose political actions are hampered by a generalised sectarian system. Building on the recent literature that challenges the rhetoric of ‘the failed state’ in Lebanon, this article focuses on the notion of sovereignty and its symbolic expressions. Moving away from discussions of violence to analyse the relationship between the state and Lebanese regional powers, the article considers how hospitality plays a significant part in acting out different expressions of sovereignty. The author observes the competition between the Lebanese Head of State (President Emile Lahoud) and a regional Lord (Walid Jumblat) in their attempts to perform ‘being at home’ in the Lebanese Mountain. In this regard, the region of the Shuf becomes emblematic as a space that links sovereignty to hosting in a particular symbolic place: the Emirs’ Palace of Beiteddin. The author argues that by accepting multiple and sometimes conflicting sources of power, the Lebanese political system follows a model of ‘piling up’ layers of sovereignty.
Comme dans l’ensemble du monde arabe, la jeunesse au Liban désigne une période de la vie située entre l’enfance et l’âge d’homme qu’inaugurent généralement le mariage, la naissance des enfants et l’ouverture de sa propre maison. Dans cette société marquée par le confessionnalisme, la jeunesse se singularise toutefois par sa très forte politisation. À partir d’une ethnographie de la socialisation partisane des jeunes druzes, l’article montre comment les jeunes se « détachent » de leur positionnement familial pour devenir « l’armée du président [Walid Joumblatt] ». Les jeunes s’investissent alors dans les camps de vacances, les instances universitaires, les réunions du parti pour « apprendre » la politique : cet apprentissage passe par la lecture des écrits de Kamal Joumblatt, les discussions politiques, l’implication dans les activités partisanes, la « surveillance » du territoire, la disponibilité pour rendre visible la présence du parti. Alors que la relation entre les chefs de famille et Walid Joumblatt, le seigneur (bek) de la Montagne, est extrêmement codifiée lors des visites traditionnelles, la relation entre Walid Joumblatt, en tant que président du PSP, et les jeunes est marquée par la familiarité et la complicité. Le leader politique est un « oncle maternel » qui inspire et qui guide les jeunes, prêts à mourir pour lui, tandis qu’il est prêt, de son côté, à mourir pour la « cause » qu’il représente.
Jeunes, jeunesse, jeune génération sont des désignations qui relèvent à la fois du vocabulaire descriptif courant et du discours politique et médiatique. Dans ce cadre, l’irruption des jeunes dans l’espace public est souvent appréhendée à travers des clichés contradictoires : violence, délinquance, contestation, chômage, attente, piétinement versus vitalité, énergie, création, renouvellement, espoir, futur… Ces termes recouvrent aussi des catégories ou des objets d’analyse des sciences social...
À partir du croisement entre son expérience de la société libanaise de l’après-guerre civile, des trajectoires d’anthropologues ayant réalisé des ethnographies du Liban avant-guerre qu’ils n’ont publiées que 20 ans plus tard et des formes mémorielles sécrétées par les Libanais qui ont vécu la guerre, l’auteur explore dans cet article l’impossible narration d’un événement s’apparentant pourtant à une transformation sociale radicale. Entre nostalgie et expression théâtralisée du conflit qui en autorise le déni de réalité, l’article montre que la guerre a été plus traversée que vécue par les Libanais, comme par les observateurs dont elle a perturbé la pratique. Ceci l’amène à mettre en perspective l’approche biographique et la co-temporalité de Johannes Fabian comme ressources méthodologiques pertinentes pour saisir la société libanaise contemporaine.
Th is article aims to analyse the patron–client relationship through a detailed ethnography of the everyday life of Walid Junblat's followers in Lebanon. It reveals how intimate people are with political fi gures, talking to them (in the form of their pictures), talking about them, thinking through them, playing off this intimacy to enter the political competition. Patrons also play their part in this relationship. Th e weekly political gatherings held at Junblat's Palace are the apex of this aesthetic of power. Detailed observations indicate how the lord orchestrates and varies the tempo of his interactions with the ritual audience, adding complexity and fl uidity to the relation. Th e protracted confrontation that has been plaguing Syria for three years has revived the familiar schema of oriental tyranny, comprehended as absolute control of power and resources enforced on the society through forms of threat and violence. 1 For decades, studies of domination and violence in the Arab world have viewed them through the schema of asymmetrical personal relations, which foster visible practices of power and ostentatious challenges. While patron–client relationships have received attention in anthropological literature, relatively little work has considered the centrality of intimacy in building these kinds of personal relationships. Th e term 'relations' in patron– client relations has long been taken as a structural link that aims to character-ise one typical form of social relation. Patron–client relation refers to a form of asymmetrical exchange (protection versus support or jobs versus the vote, for example) and is fuelled with personal marks of power and allegiance. It is crucial to theorise the notion of relations as being more than a mere structural or formal link between individuals or social groups in such a way as
Serendipity, ‘the art of making an unsought finding’, is a much sought after scientific ideal. In anthropology, the epistemological weight placed on serendipity goes beyond mere sagacious discoveries because it is deemed to shape the ethnographic process. Dwelling on decades of de-construction of fieldwork as both a temporal and spatial unity, recent claims urge the discipline to shift from a quest for alternative social and cultural cosmologies to a journey that explores uncharted issues. This introduction lays out some of the new fieldwork conceptions and practices, which are analysed in depth by three ‘young scholars’ in the papers that follow.
Mélanges offerts à Raymond Jamous, ce numéro rassemble des interventions présentées lors du colloque organisé par le LESC (février 2007) pour réfléchir à l’ethnographie dans ses deux dimensions : celle de la relation ethnographique comme temps particulier du modus operandi de l’ethnologue, et celle des données ethnographiques comme condition de la construction des savoirs ethnologiques. Immédiate ou construite, l’altérité façonne toute relation ethnographique. Celle de l’ethnologue suscite une réaction de la société. Au-delà de l’anecdote et pour construire la comparaison, le chercheur s’interroge : Comment s’est passé le premier contact ? Quelle(s) place(s) et quel(s) rôle(s) la société lui a-t-elle assignés ? Dans quel registre (parenté, amitié, rituel, etc.) ? À quel moment et de quelle façon l’a-t-il perçu ? Et comment a-t-il « travaillé son rôle », en respectant ou en ignorant l’assignation ? Ce retour réflexif, pour certains, longtemps après les faits, met en évidence les conditions fluctuantes de l’expérience du terrain, ses réussites, ses échecs aussi. Il s’agit enfin d’analyser les modalités selon lesquelles la relation ethnographique conditionne le choix et le développement des perspectives problématiques.
Toute enquête ethnographique est soumise à un ensemble de contingences qui sont rarement objectivées en tant que telles quand les relations construites entre l’ethnologue et ses hôtes lui permettent de « travailler ». Que faire d’une situation ethnographique dans laquelle le rôle assigné à l’ethnologue s’avère impossible à tenir ? Bien des années après l’« échec » d’un premier terrain libanais, je reviens sur les conditions qui m’ont amenée à m’installer avec un couple de jeunes mariés. Je tente de donner un sens à cette expérience en analysant, en termes de domination et de clivages politiques, les différents niveaux de la relation établie entre mes hôtes et moi, mais encore entre les protagonistes de cette sorte de huis clos familial.
La mémoire de Pierre Grappin est associée à l’université de Nanterre dont il a été le premier doyen de 1964 à 1968. Il ne s’agissait encore que d’une faculté de l’Université de Paris. Cette qualité de pionnier ayant choisi de quitter la Sorbonne et d’organiser avec une douzaine de collègues un nouveau campus sur les « plaines sableuses de la Garenne » suffit à marquer le lien avec notre grande institution de l’ouest parisien. Mais la figure du « doyen Grappin » reste surtout attachée à la période de mai 68. Son tête-à-tête avec Daniel Cohn-Bendit en est devenu l’un des symboles. À l’occasion du jubilé de ces événements, il semblait important de remettre à la disposition des lecteurs le récit autobiographique publié par Pierre Grappin en 1993. Ces souvenirs, intitulés L’Ile aux peupliers, avec en sous-titre De la Résistance à Mai 68, sont issus des conversations qu’il a eues avec Laurent Danchin, écrivain et critique d’art, dans sa maison du Jura. La réédition augmentée présente des textes et photographies extraits des archives du fonds Grappin, déposé à La contemporaine. Ces documents éclairent le parcours résolument européen, engagement de toute une vie, du doyen de Nanterre…
Comment rendre compte de ce « qu'est » une minorité religieuse orientale ou de ce qui fait son particularisme au-delà des traits ascriptifs que l'on mobilise généralement pour la définir ? Est-ce la dimension religieuse ou cultuelle ? Des principes religieux spécifiques susceptibles de définir une « école juridique » (madhhab) ou une église ? Une histoire ? Des liens de parenté dans une organisation tribale ('asabiyya) ? Les études synoptiques sur les minorités religieuses sont une manière classique d'appréhender la fabrique sociale complexe dans le monde arabo-musulman. Forts de ces mises en garde, les chercheurs en sciences sociales – qu'ils soient historiens, politologues, ethnologues ou géographes – se sont donc attachés, depuis près de 25 ans, à comprendre le fait minoritaire comme système relationnel général ou à saisir les minorités particulières en interaction. La posture analytique que j’ai tenté de développer dans l’article qui suit est de nature différente. Poser la question de l’élucidation de la question des minorités religieuses au Proche-Orient appelle en effet une réflexion sur la notion de communauté et sur ce qui la spécifie en tant que groupement humain distinct : trajectoire historique, éthos religieux, ensemble normatif, dispositif relationnel. Du point de vue de la sociologique pragmatique, on peut donc considérer que ce type d’approche s’attache à discerner l’ensemble des appuis pertinents sur lesquels les individus, se reconnaissant et étant reconnus comme membres d’une communauté, se reposent dans l’ensemble des situations dans lesquelles cette dimension de leur identité est pertinente. Autrement dit, qu’est-il possible de décrire si l’on pose la question de la « manière d’être » minoritaire, saisie comme je l’entends à partir de l’ethnographie particulière d’une communauté et non en tant « qu’éthos minoritaire » idéal-typique ? Qu’est-ce qui fait qu’un druze est druze, dans son attitude quotidienne, dans sa relation aux autres, druzes ou non druzes, dans sa manière d’habiter son existence ?
Il n’est pas surprenant que la question du prestige suscite l’intérêt des historiens de cette période. Il faut y voir une explication dans la nature même de la société romaine de cette période, hautement compétitive et concurrentielle. L’exacerbation des rivalités aristocratiques à la période tardo-républicaine se caractérise en effet par la recherche toujours plus effrénée des honneurs et des marques de distinction. Le fait que cette réflexion collective sur le prestige à Rome a été précédée par la publication des actes d’un colloque consacré au même sujet (voir Hurlet, Rivoal, Sidéra, Le Prestige. Autour des formes de la différenciation sociale, De Boccard, 2014), mais appliqué à un cadre interdisciplinaire plus large présente un avantage certain, celui de fournir un fondement théorique à une notion souvent utilisée par les antiquisants, mais jamais vraiment définie. L’introduction du premier volume interdisciplinaire sur le prestige a ainsi déjà souligné que l'usage de la notion de prestige pose bien entendu le problème classique de l’équivalence d’une notion contemporaine avec la terminologie antique, grecque et romaine. On en reprendra les deux résultats qui ont été de montrer que deux conceptions du prestige se croisent et se recoupent, dans le monde contemporain comme dans l'Antiquité. La première renvoie à l’idée que le prestige est lié à un statut déterminé d’un individu ou d’un groupe d’individu ou à un attribut (le prestige du sénateur ou celui de l’uniforme par exemple), tandis que la seconde désigne les procédés et les manifestations publiques permettant d’afficher sa distinction sociale et de la rendre visible de manière à se voir reconnaître du prestige ou tout simplement à le maintenir (par exemple le prestige qui consiste à participer à une manifestation importante à une place d’honneur). En d’autres termes, le prestige renvoie autant à un statut déterminé qu’à une performance, l’un et l’autre se complétant plus qu’ils ne s’opposent.
Inspiré par la philosophie de la modernité développée par Charles Taylor, le concept de « modernités multiples » s’est imposé vers la fin de la décennie 1990, et avec lui un ambitieux projet pluridisciplinaire d’archéologie comparative des histoires de « la » modernité. Au-delà des changements institutionnels visibles produits par l’adaptation à une certaine modernité globale, ces théories « culturelles » insistent sur la nécessité de considérer « la modernité vécue de l’intérieur », autrement dit son « imaginaire social » . Dans la modernité musulmane, la démarche fondamentaliste de retour aux textes produit d’une configuration historique particulière, qui investit la catégorie de religion d’une positivité nouvelle. Cependant, loin d’avoir entraîné un désenchantement du monde, la modernité musulmane s’est au contraire traduite par une inscription du religieux, confondu avec sa dimension morale, dans le social . La reconstruction morale de la société est ainsi devenue un « imaginaire social » puissant de la modernité musulmane. Or, selon une logique pleinement moderne, c’est précisément à travers les femmes que la puissance de cet imaginaire se manifeste avec le plus d’éclat: la modernité musulmane passe en effet par un engagement des femmes dans la construction d’un modèle alternatif de féminité idéale. La perspective développée dans l’article tisse d’un point de vue particulier ces deux aspects que sont la redéfinition de la capacité d’agir des femmes dans l’espace public et l’incertitude majeure quant au devenir. D’autres manières d’être dans le temps et d’être dans sa propre temporalité individuelle sont observables dans les sociétés du Moyen-Orient. Il convient en effet de les mettre en regard de l’agentivité des actrices de la modernité musulmane dans un projet plus général de compréhension des formes historiques et variées d’inscription temporelle dans les sociétés musulmanes.
La mort est une dimension humaine centrale autour de laquelle toutes les sociétés ont développé un ensemble de croyances et de pratiques, souvent très élaborées et très codifiées. Le « travail du deuil » engage généralement la communauté au-delà des proches du défunt. Il tend à réaliser la séparation entre les morts et les vivants. Enfin, il « construit » le défunt ou mort en ancêtre. Cette exigence a été identifiée dans le travail pionnier de Robert Hertz et sa théorie des doubles funérailles : l'âme du mort est dangereuse pendant une période intermédiaire, ce sont les deuxièmes funérailles qui, en le transformant en ancêtre, en font une entité bienfaisante pour les vivants. Le devenir du corps mort, sa thanatomorphose, est également un sujet central de préoccupation. Le cadavre est le support de représentations diverses, voire de fantasmes, propres à chaque culture, qui vont conditionner les différents types de traitement que l'on va lui faire subir. C'est par l'analyse de ces différents traitements que nous tentons ici de déchiffrer les solutions qu'ont élaborées les sociétés, selon deux approches rarement combinées, celle de l'ethnologie et celle de l'archéologie. Un même fil directeur a conduit ces travaux dont les contextes culturels et géographiques sont variés : celui d'une chaîne opératoire funéraire.
La mort est une dimension humaine centrale autour de laquelle toutes les sociétés ont développé un ensemble de croyances et de pratiques, souvent très élaborées et très codifiées. Le « travail du deuil » engage généralement la communauté au-delà des proches du défunt. Il tend à réaliser la séparation entre les morts et les vivants. Enfin, il « construit » le défunt ou mort en ancêtre. Cette exigence a été identifiée dans le travail pionnier de Robert Hertz et sa théorie des doubles funérailles : l'âme du mort est dangereuse pendant une période intermédiaire, ce sont les deuxièmes funérailles qui, en le transformant en ancêtre, en font une entité bienfaisante pour les vivants. Le devenir du corps mort, sa thanatomorphose, est également un sujet central de préoccupation. Le cadavre est le support de représentations diverses, voire de fantasmes, propres à chaque culture, qui vont conditionner les différents types de traitement que l'on va lui faire subir. C'est par l'analyse de ces différents traitements que nous tentons ici de déchiffrer les solutions qu'ont élaborées les sociétés, selon deux approches rarement combinées, celle de l'ethnologie et celle de l'archéologie. Un même fil directeur a conduit ces travaux dont les contextes culturels et géographiques sont variés : celui d'une chaîne opératoire funéraire.
Qu'est-ce qui lie un leader politique à ceux qui se reconnaissent comme ses partisans ? Comment se construisent et se perpétuent les loyautés partisanes ? Quelles sont les manifestations, dans la vie quotidienne, d'une relation politique caractérisée par sa dimension personnelle ? Comment surtout rendre compte de cette dimension personnelle dans une organisation politique réputée fondée sur la coercition et la violence ? A partir d'une étude ethnographique de la relation entre Walid Joumblat, seigneur druze dans sa région du Chouf et ses partisans, cet article s'attache à décrire la place centrale, symbolique et constamment négociée, du patron politique dans la vie quotidienne et donne à voir la complexité d'une relation patron-client, trop souvent réduite à un rapport de domination par la littérature.
Puede parecer paradójico que, invitada a participar en una reflexión sobre el activismo político y religioso en el mundo islámico contemporáneo, elija hablar de mística y de ascetismo. En primer lugar es preciso explicar la postura de la que parte un estudio en el que se tratará menos de " activismo religioso " que de " actividad " en una religión entendida a la vez como experiencia y ética. Por supuesto, bastaría con decir que no se trata de activismo religioso porque la comunidad drusa en la que he llevado a cabo mis investigaciones no lo ha desarrollado como tal. Esta constatación no puede dejar al sociólogo sin preguntarse: ¿cómo es posible que una comunidad religiosa minoritaria inscrita en contextos políticos antagónicos (Líbano, Siria, Israel) no desarrolle un discurso religioso con el fin de afirmarse políticamente? Sin embargo, quiero demostrar que más allá de las características particulares que se desarrollan en una u otra comunidad minoritaria, el ascetismo y la perspectiva mística con la que se combina o a la que, por el contrario, se opone, es un germen de activismo poderoso.
L'usage du terme identité est devenu malaisé. La référence à « l'identité », ou plus précisément aux formes et aux processus de construction ou d'affirmation identitaires, a largement débordé le cadre conceptuel dans lequel cette notion a été élaborée pour devenir un lieu commun du vocabulaire des sciences sociales de la fin du XXe siècle. Utile parce qu'il se prête aisément aux jeux de la pluridisciplinarité, ce terme est désormais aussi souvent utilisé comme forme commode d'énonciation que comme instrument pour produire une analyse du social. La fortune de cette labellisation doit certainement être recherchée dans la relation plus générale qu'elle entretient avec l'air du temps puisque, comme le souligne Jacques Le Goff, la quête effrénée de l'identité collective est devenue l'activité essentielle des individus et des sociétés modernes 1. Cette dimension universelle induit une extrême diversité des situations sociales susceptibles d'être questionnées en termes d'identité. Au-delà de la nécessité de rendre compte de cette activité essentielle et d'en comprendre les mécanismes, qui a nourri un véritable mouvement de réflexion sur les sociétés plurielles, l'usage du terme s'est aussi imposé parce qu'il offre la possibilité de porter un regard non réifiant sur les groupements sociaux. Toute définition a priori, à partir de critères ou de traits significatifs, d'un groupe social est aujourd'hui discréditée. C'est en ce sens que parler d'identité est devenu souvent une manière de dire, une sorte de « scientifiquement correct » du discours sociologique qui n'ouvre pas ou plus forcément sur une problématisation.
Cet article s'inscrit dans un programme de recherche sur les municipalités et les pouvoirs locaux au Liban dans le contexte des élections municipales de 1998 qui se sont à nouveau déroulées après 30 années de reconduction tacites. L'article porte sur la municipalité de Baaqline, principale municipalité druze dans le Chouf, ancienne capitale émirale, et qui fait face à l'autre capitale émirale, symboliquement chrétienne celle-là, de dayr el-Qamar. L'article analyse bien sûr la forte charge symbolique pour la municipalité de Baaqline de sa situation au coeur de "la montagne libanaise" et de son dispositif émiral, et l'impact de cette symbolique sur les politique municipales. Mais en tant que "pouvoir local", Baaqline est aussi et surtout un maillon dans la domination du leader politique de la région, Walid Joumblatt. L'article montre comment s'exerce la domination implicite du "patron politique", de la constitution des listes à l'application des arrêtés municipaux, de la politique municipale au réglement des conflits locaux. Comprendre la spécificité de la municipalité de Baaqline et son organisation politique et réglementaire suppose enfin et surtout de la saisir dans la continuité de la période de la guerre civile quand la région du Chouf est devenu un "canton" druze, dirigé par le PSP de Walid Joumblatt, indépendant des services de l'Etat libanais qui se trouvaient répliqué dans une structure politique ad hoc légitime de 1983 à 1991, l'Administration Civile de la Montagne qui est ici étudiée en détail.
L'anthropologie apporte à la compréhension de l'humain un double questionnement : le premier lié à la « différence anthropologique » considère l'humain en tant qu'espèce, qui a d'abord défini le domaine de l'anthropologie physique ; le second s'intéresse à son universalité en relation avec la variabilité anthropologique, et explore l'humanité dans sa diversité, ce que l'anthropologie sociale et culturelle a constituée en objet de recherche. Son projet de connaissance (scientifique) consiste dans la description et l'élucidation de ces différences comprises comme autant « d'universaux concrets », à partir d'une observation directe de longue durée (l'enquête de terrain comme laboratoire). Ces réalités empiriques mettent au défi une définition abstraite de l'humain dans son universalité, défi que la recherche des invariants a voulu relever. Cette quête de l'humain, au risque de sa diversité sociale et culturelle, distingue certainement le projet anthropologique du projet philosophique dont l'histoire de la pensée occidentale demeure le pivot principal.
Par-delà les déclinaisons disciplinaires dont il va faire l'objet, le concept de relation a ceci de particulier qu'il met en jeu une conception générale de l'être humain. La relation soulève toujours la question de l'humain ou plutôt du point de vue sur l'humain et sur ce qui le constitue tout à la fois comme sujet de pensée et d'action et comme objet des sciences humaines. Deux anthropologies générales de l'humain peuvent ainsi être esquissées. L'anthropologie moderne, individualiste ou singulariste, appréhende les relations à partir des individus qui s'y engagent, les soutiennent ou au contraire les délaissent. Au sein d'une telle anthropologie, les relations externes, contingentes et a posteriori, qui relient les êtres humains ne transforment guère leur identité intrinsèque. Ceux-ci étant d'abord et avant tout des êtres singuliers, monadiques et idiosyncrasiques, leur « entrée en relation », somme toute superficielle et située, ne peut les ébranler que de manière provisoire. À l'opposé d'une telle conception, une autre anthropologie générale, que l'on pourrait qualifier de relationniste, définit l'être humain comme étant constitué de manière intrinsèque par les relations sociales dont sa nature même dépend. Loin d'être une entité substantielle, un substrat privé ou une pure conscience, l'individu est une unité relationnelle qui se construit de manière indirecte, via les structures sociales, les pratiques culturelles et les accordages affectifs, qui lui donnent le sens de sa place dans le monde physique et social.
Cette longue notice publié dans le Dictionnaire des faits religieux explore la notion de minorité religieuse en tant qu'elle implique (1) l'existence de rapports de pouvoir et de subordination entre une majorité sociologique et / ou politique et une minorité ; (2) l'existence d'une définition de ces rapports, voire leur institutionnalisation. L'article explore et analyse ainsi les différents contextes et configurations historiques d'articulation entre majorité et minorités religieuses (hiérarchisation, reconnaissance ou non, persécution), les formes sociologiques de la relation majorité / minorité, ainsi que les stratégies de protection identitaire des minorités religieuses
Biographie et trajectoire scientifique de Michel Seurat
Recensé : Bernard Charlier, Christine Grard, Frédéric Laugrand, Pierre-Joseph Laurent, Saskia Simon (dir.), Écritures anthropologiques, Louvain-la-Neuve, Academia/L’Harmat- tan, 2020 (coll. « Investigations d’anthropologie prospective », n°20), 340 p.
Il y a deux façons de lire le livre de Cyril Roussel : la première en tant qu’étude de géographie contemporaine sur la Syrie ; la seconde comme une étude de la minorité druze au Proche-Orient, d’un point de vue de géographe. La compréhension de la Syrie (au sens large du Bilād al-shām) à partir d’une approche spatiale et par l’étude des relations entre ses territoires est forte d’une tradition scientifique qui a produit des modèles opératoires pour les sciences sociales. De l’ouvrage fondateu...
L’ouvrage de Sossie Andezian porte sur l’étude des cérémonies de Noël à Bethléem, mais voici une étude qui aurait aussi bien pu s’intituler « l’utopie d’une normalisation palestinienne et son effondrement » tant le fil narratif s’organise autour du basculement de l’année 2000, avec la célébration du millenium et le déclenchement de la seconde intifada. Dans sa dimension factuelle, le livre décrit ainsi les ressorts de l’utopie d’Oslo, inaugurée à Bethléem par l’accession à l’autonomie en 1995...
Composante la moins nombreuse de la minorité druze du Proche-Orient (si l’on excepte sa très faible présence en Jordanie), la communauté druze en Israël ne cesse de questionner politologues et sociologues en raison de sa double singularité. Singularité politique dans l’ensemble palestinien d’abord, puisque les familles les plus influentes de la communauté ont fait le choix dès 1936 de ne pas soutenir le courant nationaliste naissant en restant en dehors de la révolte, choix confirmé en 1956 p...