Ma thèse interroge la catégorie de « lieux sacrés » (lugares sagrados, loq’laj na’ajej) telle qu’elle est mobilisée, construite et reconstruite dans les discours q’eqchi’ du sud-est du Petén (Guatemala), région fortement impactée par les conséquences de la guerre qui ravagea le pays (1960-1996). Au Guatemala, les lieux sacrés ont émergé au xxe siècle comme catégorie politique en même temps que les notions de patrimoine et d’héritage culturel. Il s’agit d’espaces où s’articulent des rapports complexes à l’identité, aux conceptions du paysage ainsi qu’au passé et aux antécesseurs. Les seize mois de mon ethnographie en contexte villageois montrent que la catégorie des lieux sacrés q’eqchi’ renvoie à une multiplicité d’éléments du paysage et ne sont pas nécessairement l’objet de questions patrimoniales ou de revendications politiques autochtones. La définition d’un lieu sacré comme portion saillante de l’espace associée aux ancêtres mayas s’inscrit dans le paradigme historiquement situé de la « mayanisation », ayant suscité de nouvelles formes d’attachement à ces espaces ainsi qu’une reconfiguration politique des pratiques rituelles associées, en lien avec de nouvelles conceptions du sacré. À partir d’une approche inspirée de l’anthropologie du paysage et ancrée dans l’anthropologie linguistique et pragmatique, j’entends montrer que : (1) la catégorie q’eqchi’ des lieux sacrés se définit avant tout par la multiplicité de ses référents, autrement dit ce n’est pas une catégorie qui permet de décrire la topographie mais avant tout une catégorie politique ; (2) dans une logique fondamentalement indexicale, l’analyse des discours q’eqchi’ montre comment la catégorie q’eqchi’ des lieux sacrés prend sa valeur sémantique au cours de l’énonciation : autrement dit, la fonction primaire de cette catégorie est pragmatique, elle est utile à l’interaction. Ce n’est que de manière secondaire que la catégorie q’eqchi’ des lieux sacrés contribue à une cartographie mentale du paysage, celui-ci étant décrit par d’autres moyens. Les lieux sacrés n’apparaissent pas comme des éléments indépendants de la topographie mais permettent en revanche de faire référence au paysage pour, par exemple, générer un terrain d’entente dans la communication ou invoquer une certaine conception de l’identité en impliquant des genres de discours spécifiques. Nous verrons ainsi de quelles manières cette catégorie nouvelle s’inscrit dans une idéologie néo-indigéniste, suscite des positionnements épistémiques particuliers ainsi que de nouvelles formes discursives plus stéréotypées.
Mots clés : Anthropologie du paysage – anthropologie linguistique et pragmatique – Guatemala – Mayas-Q’eqchi’ – pan-mayanisme – phénomène des « lieux sacrés » – vestiges
Abstract : My thesis examines the category of “sacred places” (lugares sagrados, loq'laj na'ajej) as mobilized, constructed and reconstructed in the Q'eqchi' discourses of southeast Petén (Guatemala), a region heavily impacted by the consequences of the war that ravaged the country (1960-1996). In Guatemala, sacred places emerged as a political category in the 20th century, at the same time as the notions of heritage and cultural inheritance. They are spaces in which complex relationships to identity, to conceptions of landscape, to the past and to ancestors are articulated. The sixteen months of my ethnography in a village context show that the category of q'eqchi' sacred places refers to a multiplicity of landscape elements, and are not necessarily the subject of heritage issues or indigenous political claims. The definition of a sacred place as a prominent portion of space associated with Mayan ancestors is part of the historically situated paradigm of “Mayanization”, which has given rise to new forms of attachment to these spaces and a political reconfiguration of associated ritual practices, in line with new conceptions of the sacred. Using an approach inspired by the anthropology of landscape and rooted in linguistic and pragmatic anthropology, I intend to show that: (1) the q'eqchi' category of sacred places is defined first and foremost by the multiplicity of its referents, in other words, it is not a category for describing topography but above all a political one; (2) in a fundamentally indexical logic, the analysis of q'eqchi' discourses shows how the category q'eqchi' of sacred places takes on its semantic value in the course of enunciation: in other words, the primary function of this category is pragmatic, it is useful for interaction. It is only secondarily that the q'eqchi' category of sacred places contributes to a mental mapping of the landscape, which is described by other means. Sacred places do not appear as elements independent of topography, but instead enable reference to landscape in order, for example, to generate common ground in communication or invoke a certain conception of identity by implying specific kinds of discourse. We'll see how this new category fits into a neo-indigenist ideology, eliciting particular epistemic positions and new, more stereotyped forms of discourse.
Keywords: anthropology of landscape - linguistic and pragmatic anthropology - Guatemala - Maya-Q'eqchi' - pan-Mayanism - phenomenon of “sacred places” - vestiges.