[English version below]
Cette thèse porte sur l'agriculture biodynamique dans la région du Comminges (Haute-Garonne, Gers, Ariège), riche d’une grande diversité d’acteurs la pratiquant : hétérogénéité des échelles (du jardin vivrier à la ferme collective certifiée), des parcours biographiques, des âges et des professions (paysan-boulanger, maraîcher, éleveur etc.).
Parce que la Biodynamie permet de tenir ensemble l’idée d’une agriculture et d’une spiritualité alternative par un processus de ritualisation des pratiques agricoles (dont le compost biodynamique et les différentes préparations propre à cette méthode sont paradigmatiques), cette recherche vise à interroger la manière dont la Biodynamie s’ancre dans un courant de radicalisation des modes de vie paysans, liant un engagement social et spirituel. Une piste intéressante pour embrasser le sujet semble se dessiner avec l’anthropologie rituelle dans son approche relationnelle (Houseman et Severi, 1998). Comment cerner, qualifier ce que met en jeu ce réseau de relations, entre humains et non-humains, dans lequel s’insèrent les biodynamistes dans leur tentative de ritualisation des pratiques agricole ? Dans quelle mesure cette ritualisation permet de réaliser (pratiquement) une spiritualité, pour un réseau qui prend racine dans le jardin et s’étend jusqu’au cosmos ? Cette agriculture, parce qu’elle met en œuvre des pratiques rituelles et une spiritualité effective, devient-elle un moyen pour des acteurs engagés de composer avec un monde et de construire, concrètement, le monde social, économique et environnemental de demain à partir de leurs fermes ?
Le travail ethnographique réalisé sur l’année 2019-2020 – une année entière sans interruption – a servi à mener une observation détaillée des pratiques menant à la ritualisation du rapport "au vivant". Il a permis de tester l’hypothèse selon laquelle il y aurait une relation dialectique entre la pensée analogique que la Biodynamie expérimente (Breda, 2016 ; Foyer, 2018) et la ritualisation des pratiques. Lorsque nous parlons de pensée analogique, nous faisons référence à son acceptation neuroscientifique (Hofstader et Sander, 2013) – c'est à dire, à la puissance plastique de la pensée dans sa capacité à créer des liens entre les choses et les êtres – non pas aux catégories mises en place par Descola (2005) – donc à l’analogisme descolien. De ce point de vue, le Calendrier lunaire et planétaire est exemplaire. L’attrait des acteurs pour cette pensée analogique – qui pousse le fonctionnement logique de la pensée moderne dans ses retranchements (Hofstader et Sander, 2013) – semble pouvoir permettre de donner du sens à la ritualisation des pratiques. Et les pratiques rituelles semblent servir à rendre tangibles les analogies établies.
Une dialectique est ainsi mise en évidence entre la puissance créatrice et performative de la pensée analogique et la gestualité au cœur de la pratique biodynamique. Ces deux aspects, pensée analogique et geste.s, rythmés dans le cycle des saisons, imbriqués entre le temps de travail et la vie personnelle, participent à la mise en œuvre d’une ritualité du quotidien pour les biodynamistes. L’analyse des données de terrain s'appuie alors sur le cadre de la ritualité du quotidien et se base sur deux observations principales : le rôle de la pensée analogique dans la théorisation et dans les pratiques ainsi que la place centrale du/des geste.s comme technique de mise en oeuvre de la Biodynamie.
Thesis entitled: Biodynamics in the Comminges: Ritualization and Spiritualisation of Agricultural Practices
This thesis explores biodynamic agriculture in the Comminges region (Haute-Garonne, Gers, Ariège), rich in a great diversity of actors practicing it: heterogeneity of scales (from food-producing gardens to certified collective farmes), biographical testimonies, ages and professions (farmer-bakers, gardeners, livestock farmers, etc).
Biodynamic Agriculture is at once an alternative agriculture and a spirituality, therefore it proposes a ritualization process of agricultural practices (for which biodynamic compost and biodynamic preparations are paradigmatic). This research questions biodynamics’ roots in the radicalisation of peasant lifestyles, linking a social and spiritual commitment. We chose ritual anthropology in its relational approach (Houseman and Severi, 1998) as a frame for this study. How can we identity and qualify the states of relations between humans and non-humans, in which the biodynamists of this network are inserting themselves, in their attempt to ritualize agricultural practices? To what extent does this ritualization make it possible to realize (practically) a spirituality, for a network that takes root in the garden and extends to the cosmos? How is this agriculture, because it implements ritual practices and an effective spirituality, becoming a means for committed actors to deal with a world and to build concretely, from there farms' soils, the social, economic, and environmental society and future ?
The ethnographic fieldwork realised on the year 2019-2020 favoured a detailed observation of practices leading to the ritualisation of the relationships to “the living”. It tested the hypothesis of a dialectic relationship between the biodynamic experiences of analogical way of thinking (Breda, 2016 ; Foyer, 2018) and the ritualisation of practices. We mention analogical way of thinking in reference to neurosciences (Hofstader and Sander, 2013) – in other words, it refers to the remarkable ability of linking things and beings together that the power of thinking has. In hence, it is not a reference to Descola’s work (2005) on analogism. The Biodynamic Moon and Planets Calendar is a perfect example of the biodynamic analogical way of thinking. The attraction that this way of thinking exercises on people interested by Biodynamic Agriculture – because it drives into a corner the modern rational and logical way of thinking (Hofstader and Sander, 2013) – tells that it is giving a meaning to the ritualisation of practices. Moreover, ritual practices seem to make real the analogies that are being made.
A dialectic appears between the creative and performative power of the analogical way of thinking and the gestuality at the heart of biodynamic practices. Both those aspects, analogical way of thinking and gestuality, following the rhythms of seasons, intertwined in both working and personal life, participate to the implementation of a rituality of everyday life for biodynamists. Fieldwork data analysis leans on the frame of rituality of everyday life and endorses two main observations: the role of analogical way of thinking in the theorisation and the realisation of biodynamic practices and the centrality of this gestuality theme.