De nombreux monastères ont abrité ou abritent une activité intellectuelle intense : l’abbaye de Cluny, au XIe siècle, nourrissait une bibliothèque de près de six cents manuscrits ; le monastère tibétain Shéchen, aujourd’hui au Népal, est le conservatoire en exil de manuels rituels et autres transcriptions des enseignements de grands maîtres. Si les religieux qui sont les garants de ces « savoirs monastiques » sont pour certains de véritables savants, philologues et théologiens armés de compétences scripturaires et exégétiques remarquables, ils sont aussi supposés posséder (à la différence des laïcs) un petit quelque chose en plus de l’ordre de la vertu, de la pureté, de la piété, de la dévotion (bhakti), de la grâce spirituelle (baraka) ou de l’accumulation de mérites (karma) qui leur permettrait d’accéder à une autre compréhension des différents corpus qu’ils ont en garde. Pour eux, la recherche du savoir n’est pas une fin en soi ; elle n’est que partie prenante d’une quête plus large et plus essentielle. Mobilisée à des fins de prière, de découverte mystique, de performance rituelle ou d’ascèse, elle dessinerait les contours d’une géométrie savante propre aux monastères.
Depuis le début des années quatre-vingt, on assiste en Syrie à un renouveau du monachisme chrétien. Différentes Églises s’emploient à faire renaître ce qu’elles définissent comme la grande tradition chrétienne orientale. La fondation d’immenses bâtisses monastiques entreprise par ces autorités ecclésiastiques traduit une volonté de création de leurs propres empreintes historiques dans le pays. Cette quête d’histoire chrétienne au cœur du territoire syrien s’inscrit dans une historiographie nationale complexe dans laquelle les notions de territorialité et de «syrianité» sont fortement mobilisées. À partir de l’étude de cette historiographie particulière, cet article se propose de montrer que le renouveau monastique relève d’une double stratégie: l’inscription sociale des chrétiens dans le territoire national et leur engagement politique dans la société syrienne.
En juillet 2004, j’ai assisté aux funérailles d’un jeune homme de la famille au sein de laquelle je vivais à Damas. À l’époque, l’intense émotion suscitée par cet événement empêcha que je m’y intéresse de plus près. Ce n’est que deux ans plus tard, en juillet 2006, que j’ai décidé d’enquêter sur l’un des aspects majeurs de la cérémonie : les lamentations funèbres féminines. Lors de ce dernier terrain, les femmes de la famille que j’interrogeais, que j’accompagnais aux funérailles et dont j’enregistrais les chants m’assignèrent alors une place tout à fait particulière. Puisque, moi aussi, « je m’habillais en noir et je venais aux funérailles », je ne pouvais plus être considérée comme une étrangère. Dès lors, elles firent de moi la fille d’une de leur sœur émigrée à Paris et mariée avec un Français. Ce statut me fut par ailleurs confirmé lorsqu’elles m’attribuèrent une place dans leurs plaisanteries entre sœurs, tantes et neveux matrilatéraux. Dans cet article, je souhaite engager une double réflexion : sur la position et l’implication de l’ethnologue sur un terrain où l’émotion est au premier plan, ainsi que sur la façon dont être assignée à une place dans la parenté de ses informateurs donne enfin toute liberté d’action à l’ethnologue sur son terrain.
Depuis une trentaine d’années, on assiste en Syrie à un renouveau important du monachisme chrétien. Les rénovations et les constructions de grands monastères entreprises par certaines autorités ecclésiastiques traduisent clairement une volonté de création de leurs propres traces historiques dans le territoire national. À partir de l’étude de la construction de cette historiographie particulière, elle-même, prise dans les perspectives générales de la construction nationale syrienne dictées par le régime en place, cet article se propose d’analyser les modalités d’inscription sociale des chrétiens dans le territoire national, ainsi que leur inscription politique dans la société syrienne.
Les Fraternités monastiques de Jérusalem, nouvel ordre monastique catholique, se trouvent dans l’église parisienne Saint-Gervais-Saint-Protais depuis 1975. Ils y proposent une expérience religieuse singulière, attractive pour de très nombreux fidèles. À partir d’une analyse détaillée des rituels quotidiens et hebdomadaires organisés, cet article montre comment laïcs et religieux envisagent, d’une part, leurs liens mutuels ainsi que leurs rapports à Dieu et forment, d’autre part, une Famille de Jérusalem.
This chapter analyzes the present political position of the Greek Orthodox Church in the Syrian sociopolitical context, with particular attention to the monastic revival of the last thirty years, during which the Syrian government has encouraged the Greek Orthodox Church to acquire and develop new lands. The Greek Orthodox Church is clearly subordinate to the power of Damascus. How has its patriarch succeeded in reconciling this profane subordination with a mission of monastic revival? The chapter focuses firstly on the historical commitments of the church to pan-Arabism and shows why it was not able to be more politically engaged in the past. Secondly, it outlines the reconstruction of the church during the twentieth century and shows how monasticism, which represents a kind of authentic tradition, has been constitutive for the entire community. Finally, it inquires into the further implications of this religious phenomenon for relationships between the Greek Orthodox community and the Syrian state.
Dans le sillage des Printemps arabes, la Syrie connait, à partir de début 2011, un soulèvement populaire sans précédent contre le régime Al-Assad régnant alors d’une main de fer sur le pays depuis 1970. Sans attendre, s’abat sur toute la société la féroce répression d’un pouvoir incapable de se renouveler, déclenchant un conflit armé particulièrement violent et meurtrier et impliquant de nombreux acteurs locaux, régionaux et internationaux…
Le laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Lesc–UMR 7186, CNRS/Université Paris Nanterre), propose un dispositif de soutien aux candidat.es au concours 2025 au poste de chargé.es de recherche au CNRS se reconnaissant dans les perspectives scientifiques du laboratoire et souhaitant leur rattachement au Lesc en cas de recrutement. Plus d'informations ici