[English version below]
Emmanuel de Vienne est Maître de conférences depuis 2012 à l’université Paris Nanterre, il y dispense entre autres les cours "nature et culture" (L1), "anthropologie linguistique" (L2) et anthropologie cognitive (L3).
Il a été directeur du département d'anthropologie de l'université Paris Nanterre de 2020 à 2023.
Ses recherches portent sur les Trumai, un des dix groupes qui composent la société pluriethnique et plurilinguistique du Haut Xingu, dans l’État brésilien du Mato Grosso. Après une thèse portant sur les conceptions Trumai de la maladie et de la thérapeutique, il a travaillé sur le chamanisme, le prophétisme, l’humour et les chants rituels. Actuellement, il s’intéresse au retour du javari, rituel emblématique du groupe mais abandonné pendant presque trente ans. Ce processus éclaire aussi bien les dynamiques ethnogénétiques propres à la région que les transformations de la chefferie, la patrimonialisation des cultures et l’indigénisation des nouvelles technologies.
Emmanuel de Vienne has been an associate professor at University of Paris Nanterre since 2012. He teaches the courses “Nature and Culture” (first year of the bachelor’s degree), “Languages and Cultures” (second year of the bachelor’s degree), and “Cognitive Anthropology” (final year of the bachelor’s degree).
From 2020 to 2023 he has been head of the anthropology department at the University of Paris Nanterre.
Revue Terrain, anthropologie et sciences humaines (membre du comité de rédaction, ancien co-rédacteur en chef)
Directeur du département d'anthropologie de l'université Paris Nanterre (2020-2023)
Directeur d'études L1
Nature et culture (L1)
Langues et cultures (L2)
Anthropologie cognitive (L3)
Séminaire de domaine américaniste (M1 et M2)
Alors que la diplomatie mondiale sert de plus en plus la puissance des États et de moins en moins un ordre international pacifié, que peut apporter l’anthropologie à la compréhension des pratiques diplomatiques ? Ce numéro s’écarte de la diplomatie traditionnelle pour observer des pratiques émergentes, ou non occidentales, en prêtant une attention spéciale aux adaptations et aux inventions des vaincus. Le lecteur rencontrera ici : des fruits malodorants porteurs d’un étonnant pouvoir politique, un défenseur des arbres du bocage, des pleurs cérémoniels servant à émouvoir des opinions publiques, des rituels amazoniens qui se propagent pour contrer une invasion territoriale… et d’autres pas de côté destinés à féconder notre imaginaire diplomatique.
The anthropological literature on the magic word inaugurated by Malinowski and continued among others by Stanley Tambiah has never ceased to emphasize the intermingling of the verb and the technical gesture. But how can we think of the frequent cases where the magic word is uttered without being part of a material operating chain, where it does not confer additional power to a gesture or a physical object present elsewhere? By comparing two Amazonian traditions, this short article intends to compare two different traditions. One (the anent achuar) implements, through an expressive work of the voice, an enunciative polyphony, while the other (the kewere of the Alto Xingu) gives to perceive the enunciation itself as a pure technical gesture. We will detail this last case, in order to highlight which vocal techniques paradoxically make it possible to build a magic without voice.
Secouée par les populismes, le bouleversement des équilibres entre les grandes puissances, la révolution numérique, la crise planétaire et la défiance envers des institutions de gouvernance mondiale conçues dans une période moins désespérée, la diplomatie traverse une crise profonde. Loin d’apporter une solution idéaliste de plus, cette introduction esquisse une théorisation ancrée dans la comparaison de cas empiriques qui sortent de la définition classique de la diplomatie centrée sur les rapports entre États. En privilégiant une approche pragmatique et interactionniste, et en étant attentive aux inventions des vaincus, elle entend identifier quelques traits constitutifs de la situation diplomatique : un rapport particulier à la violence (qui n’est pas toujours d’exclusion), l’invention de rituels qui sont autant de modélisations du monde, l’imitation de l’autre au risque de la confusion.
Diplomacy is today undergoing rapid change, shaken by new populisms, seismic shifts in the balance of world powers, the digital revolution, planetary crisis and declining confidence in institutions of world governance that were conceived in a more hopeful era. Far from offering another idealistic solution, this introduction sketches a theorization anchored in the comparison of empirical case studies that lie outside of classic definitions of diplomacy, centred on relations between states. By privileging a pragmatic and interactionalist approach, and through attention to the particular political inventiveness of the vanquished, it aims to identify some commonalities across diverse diplomatic situations, namely a particular relation to violence (not always one of exclusion), the invention of rituals that model, in miniature, the world, and the destabilizing imitation of the other.
En quoi consiste aujourd’hui le métier de diplomate ? Comment peut-on l’envisager dans nos sociétés contemporaines ? Dans cet entretien accordé à Terrain, Yves Saint-Geours, s’appuyant sur son parcours professionnel, décrit les enjeux de la Carrière et ses évolutions actuelles. Partant de l’exemple des COP, il engage une réflexion sur le rôle des collectifs dans l’arène diplomatique et l’ouverture à la société civile et sur le rapport entre les diplomates et les gouvernements étatiques. Il s’attarde surtout sur le positionnement parfois complexe d’un représentant de l’État à l’étranger, potentiellement tiraillé entre le service des intérêts de sa patrie et la compréhension empathique du pays hôte, première qualité qu’on attend de lui. Jusqu’à s’interroger sur ce qui fait un bon diplomate au xxie siècle, question plus complexe à résoudre aujourd’hui qu’hier.
Les cinq articles publiés dans ce dossier débattent de la question de l’universalisme moral et des différences culturelles concernant la consommation de viande en Amazonie. Un article de Stephen Hugh-Jones intitulé « Bonnes raisons ou mauvaise conscience ? De l’ambivalence de certains amazoniens envers la consommation de viande », publié dans les colonnes de cette revue en 1996, est à l’origine de ce débat. L’auteur y remettait en question la vision d’une altérité culturelle amazonienne radicale face aux animaux mangés. Ainsi en Amazonie comme en Europe la consommation de viande entraînerait chez les humains une même ambivalence. Dans un article publié deux ans plus tard, Philippe Descola jugea ces ressemblances superficielles et préféra y voir des modèles ontologiques irréconciliables. Plus récemment, en 2016, Florent Kohler reproche à nos deux auteurs une même construction idéale de l’animisme, qui leur fait assimiler les animaux à des personnes tandis qu’en 2020 Felipe Vander Velden reprend à son compte l’intuition de Hugh-Jones sur l’empathie entre humains et animaux en la précisant toutefois. En se répondant les uns aux autres sur une période de vingt-cinq ans, les arguments des auteurs approfondissent la question de la consommation de la viande tout en faisant défiler en arrière-plan certaines étapes de la discipline anthropologique dont le tournant ontologique. Le débat revêt une pertinence contemporaine qui dépasse les faits amazoniens dans lesquels il est ancré.
Pour Marika Moisseeff, l’accès à la jouissance sexuelle est, en Occident, devenu la voie royale pour démontrer la capacité des individus à atteindre un statut d’être pleinement autonome. Et c’est à cette fin que la société leur fournit les moyens de se libérer du joug reproducteur. Cette proposition quelque peu provocante se fonde sur une perspective culturelle comparative portant sur deux types de données : d’un côté, la façon distinctive d’appréhender les identités personnelles et l’accès au statut d’adulte et, de l’autre, les œuvres de science-fiction abordées en tant que récits mythiques.
Renaître est devenu, dans les sociétés occidentales contemporaines, un passage obligé de la construction du sujet, sous la forme d’une expérience de régénération à faire de son vivant sans en passer par la mort. Cette injonction se retrouve aussi bien dans les nouvelles spiritualités et les thérapies alternatives que dans l’évangélisme. De quelle histoire cette idée procède-t-elle et quels mécanismes met-elle en œuvre ? Ces expériences de renaissance sont-elles comparables aux initiations étudiées de longue date par les anthropologues ? Cette introduction au nouveau Terrain esquisse des réponses à ces questions en passant en revue quelques exemples de ce que renaître peut vouloir dire dans différents contextes passés et présents.
Associant la célébration d’un mort, la guerre et l’alliance, le rituel du javari fait l’objet depuis quelques années d’un effort de « revitalisation » par les Trumai (Amazonie brésilienne), qui sont réputés en être les maîtres mais n’y participaient plus depuis des décennies, à l’inverse de leurs partenaires et rivaux dans la société du Haut Xingu. En comparant leurs ethnographies, qui couvrent une période d’un demi-siècle, les deux auteurs de ce travail esquissent une réflexion sur le changement et la répétition de la tradition dans une société hantée par la figure de la disparition. Acteurs du retour du rituel, les Trumai accrochent au présent des images du passé qui sont autant les fruits de l’imagination que d’un savoir inconscient ; effort de reconfiguration qui, à rebours de ce qu’ils croient faire advenir, plonge à nouveau leur être social collectif dans une reconduction de vieux schèmes intégrés par l’écoute des mythes et la pratique du quotidien au moment où tout cela n’est pas encore drastiquement oublié., For some years now, the Trumai people (from the Brazilian Amazon) have endeavored to revive the « Javari » ritual which combines such themes as war, alliance and the honoring of the dead. Despite their reputation as masters of this ritual, the Trumai had ceased to take part in it several decades ago, unlike their partners and rivals of the High Xingu society. By comparing their respective ethnographies, which cover half a century, the authors have attempted to reflect on the changes and repetitions affecting tradition in a society haunted by the « figure » of disparition. In their re-enactment of the ritual, the Trumai attach to the present images of the past that are as much the fruit of their imagination as that of unconscious knowledge ; in this attempt at reconfiguration and contrary to their own intentions, they actually re-immerse themselves, as a collective entity, in the renewal of the old schemes conveyed by the myths, and their application to everyday practice before it all falls into complete oblivion.
Comment théoriser les mille façons de renaître que l’ethnographie révèle ? L’homme a-t-il l’apanage de ces secondes naissances ? Peut-on renaître sans rituel ? Maurice Bloch revient dans cet entretien sur ces questions qu’il a souvent croisées au cours de sa carrière, fort ici de sa nouvelle théorie selon laquelle l’humain est le seul à disposer de ce qu’il appelle le « social transcendantal » – cette capacité à construire des rôles et des communautés imaginées.
La nostalgie est désormais une valeur mondialisée, ce qui ne signifie ni qu’elle est partout la même, ni que ceux qui en souffrent le plus en tirent profit en conséquence. Cet article offre à cette proposition générale une illustration, par l’examen des peintures d’Amatiwana Trumai, Indien d’Amazonie brésilienne, et de leur échec à s’insérer sur le marché de l’art. La carrière d’Amati, débutée dans les années 1960, s’ancre dans une existence marquée par la maladie, l’exil, le constat des transformations brutales induites par la colonisation. Figurant pour la plupart la vie qu’il estime avoir perdue (la mythologie, les rituels, la faune et la flore du Haut-Xingu), ses toiles produisent la nostalgie autant qu’elles l’expriment. Mais de quelle nostalgie s’agit-il et à qui s’adresse-t-elle ? Ne suscite-t-elle pas des malentendus sur les notions d’authenticité et d’original ?
This paper focuses on a prophetic movement led by an Amerindian from Mato Grosso, Brazil, in 2006. This man created a radically new liturgy and cosmology by combining elements borrowed from local shamanism and mythology, Christianity and TV shows, among other sources. He managed to convince entire villages to take part in spectacular healing ceremonies and gathered a huge number of followers. One of these ceremonies was extensively filmed by indigenous filmmakers, making it possible to examine the micromechanisms of this cultural innovation, and thus address with fresh data and a new approach the old issue of Amerindian prophetism. We propose here the concept of translating acts to describe this indigenous practice of transcreation, giving special attention to the multiple semiotic mediums through which it is enacted.
This article explores the shapes taken by joking among the Trumai Indians and other groups of the Xinguan Indigenous Park (Mato Grosso, Brazil). This social practice often opposes persons who are in open-ended relationships, and can thus be defined as the default mode of relation: while it occurs prototypically between male cross-cousins, it is also common with Indian or non-Indian outsiders. Contrarily, one demonstrates both shame and respect toward real affines. Identifying this system of attitudes gives no account, however, of either the pragmatic properties of joking, nor its specific social efficacy. Joking, in particular, is remarkable by its inescapable ambivalence, both moral and functional. This characteristic is closely linked to the frame of interaction that joking is built upon, which manages, in the same time, to both follow highly conventional patterns and produce deep destabilization. This paper thus tries to explain the paradox of what could be called a predictable uncertainty and convey, partly from my own experience, what it is like to be part of such a play where the opposition between the failure and success of an interaction becomes blurred.
La dernière revue Terrain (n°73, Homo diplomaticus) révèle toutes les affinités entre diplomatie et anthropologie et laisse imaginer le profit à les considérer ensemble pour mieux relever les défis de notre monde si troublé. Nous en parlons avec Yves Saint-Geours, et Emmanuel de Vienne.
Dans un contexte mondial bouleversé par les crises économiques, sanitaires et écologiques, la diplomatie traditionnelle paraît ébranlée tandis que de nouvelles manières de peser dans les négociations ont vu le jour. Dès lors, comment imaginer les nouvelles formes du dialogue international ?