[English version below]
S. Blanchy travaille à Mayotte depuis 1980 et aux Comores depuis 1987. Après une thèse sur la vie quotidienne à Mayotte (île française de l’archipel des Comores), elle a étudié le rituel du mariage et les classes d’âge à Ngazidja (Grande-Comore). Les diverses variantes du système d’âge mises en œuvre dans chaque cité ont mis au jour la complexité d’une organisation sociale et politique qui articule matrilinéarité, âge, islam et aujourd’hui migration.L’aspect très formel de ces institutions n’empêche pas la réalisation de diverses expériences et trajectoires personnelles selon les circonstances, le sexe et les choix faits à différents âges. Elle a entrepris un travail comparatif dans les trois autres îles sur les formes actuelles des groupes de parenté et des systèmes d’âge d’une part, et sur leur reproduction et leur articulation au sein des échanges cérémoniels d’autre part. Ces échanges, de plus en plus monétarisés, variés selon les îles, s’adaptant au contexte historique et économique, fournissent une bonne entrée pour une histoire comparée de ces sociétés insulaires qui, par leur position géographique, sont prises dans les rapports de pouvoir globalisés de l’océan Indien occidental.
À Madagascar, depuis 1990, ses travaux ont porté sur la variété des pratiques et des représentations religieuses, l’expérience subjective et la carrière des médiateurs (Hautes Terres, Moyen-Est). Elle a étudié l’usage matériel et rituel qui est fait des forêts d’altitude de l’Ankaratra où se trouvent des sites de cultes ancestraux. A partir de ces pratiques et des discours des responsables locaux sur les entités visibles et invisibles de l’environnement, dont font partie leurs ancêtres, elle a décrit les formes d’adaptation ou de résistance des villageois aux politiques forestières menées par l’État et les organismes internationaux. Il s’avère que si l'histoire et le patrimoine local, comprenant un savoir sur l’environnement méconnu des scientifiques naturalistes, sont en position subalternes vis-à-vis des thèmes centraux promus par les politiques culturelles d’État, cela n'empêche pas d'observer à cette échelle des processus de patrimonialisation locaux.
S. Blanchy has worked in Mayotte since 1980 and in the Comoros since 1987. After a PhD of Anthropology about social interactions and daily life in Mayotte (French island of the Comoros archipelago), she studied the ceremonial exchanges of marriage and age classes in Ngazidja. The variations of the age system implemented in each city have revealed the complexity of a social and political organization that articulates matriliny, age, Islam and, today, migration. The very formal aspect of these institutions does not prevent the realization of various personal experiences and trajectories according to the circumstances, gender and choices made at different ages. Comparative work is underway in the other three islands on the current forms of kin groups and age systems on the one hand, and on their reproduction and articulation within ceremonial exchanges on the other. These exchanges, increasingly monetarised, varied according to the islands, adapting to the historical and economic context, provide a good entry for a comparative history of these island societies which, by their geographical position, are taken in the globalized power relationships of the Western Indian Ocean.
In Madagascar, her work has focused since 1990 on the variety of religious practices and representations, the subjective experience and the career of mediators (Highland, Middle-East). She studied the material and ritual use that is made of the high forests of Ankaratra where there are sites of ancestral cults. Based on these practices and the words of local officials on visible and invisible entities of the environment, she described the forms of adaptation or resistance of villagers to forest policies carried out by the state and international organizations. It turns out that while local history and heritage, including knowledge about the unknown environment of naturalistic scientists, are in a subordinate position vis-à-vis the central themes promoted by state cultural policies, this does not prevent local heritage-making processes at this level.
2020-2021, EHESS, campus Condorcet, jeudi 14h30-16h30
Mondes insulaires de l'océan Indien. (Comores, Madagascar, Mayotte)
Ce séminaire de recherche est destiné autant aux étudiants de master qu’aux doctorants et enseignants-chercheurs travaillant sur les îles et archipels de l’océan Indien occidental. L’intérêt heuristique que présente pour les sciences sociales d’appréhender la grande île de Madagascar et les archipels des Comores, des Mascareignes et des Seychelles comme une aire culturelle et un domaine de recherche à part entière, tient à la singularité de ce creuset civilisationnel afro-eurasiatique, forgé dans l’un des derniers endroits habités de la planète, à la croisée des influences bantoue, arabo-persane, austronésienne, indienne et occidentale, à partir des relations pluriséculaires que ces mondes insulaires ont entretenues avec les pourtours de l’océan Indien, à l’ouest (la mer Rouge, le golfe Persique, les fleuves du Limpopo et du Zambèze, les îles swahili : Zanzibar, Kilwa, Pemba, Mafia, Pate), comme à l’est (l’Inde du Gujarat, du Sind et de la côte de Malabar ; l’Indonésie de Sumatra et Java, de l’archipel de Riau, de Sulawesi et de Bornéo).
La mise en perspective dans une première partie des travaux conduits à Madagascar, aux Comores et à Mayotte, à partir des circulations et des transferts culturels ayant marqué l’histoire de cet espace régional, sera complétée dans une seconde partie par l'introduction aux recherches en cours dans chacune de ces îles. L’objectif d’un tel état des lieux est d’y circonscrire l’actualité de la recherche en sciences sociales pour mieux y envisager les nouvelles problématisations et lignes de recherche à venir.
La fondation de l’ethnologie à Nanterre — enseignement et laboratoire de recherche — n’a été qu’un moment dans l’histoire de la discipline et de ses institutions. Elle n’en a pas moins incarné la volonté de nouvelles pratiques, grâce à trois éléments : le lieu d’implantation, la nouvelle faculté de Nanterre ; l’époque bouillonnante de sa création, la fin des années 1960 ; enfin et surtout, la personnalité de son fondateur, Éric de Dampierre, porteur d’un projet qui se voulait sur certains poi...
Au sein des mondes swahili, les sociétés insulaires des Comores ont conservé, malgré l’adoption de l’islam, une règle de résidence conjugale matrilocale et même, pour deux d’entre elles, des groupes de filiation matrilinéaires. Ce n’est pas le cas à Anjouan où la filiation est indifférenciée. Dans cette île, l’intégration régulière dans les familles dominantes de marchands lettrés, membres des réseaux commerciaux maritimes de l’océan Indien, notamment de chérifs Bā ʿAlawī, a contribué à la formation d’une catégorie urbaine spécifique, les makabaila. La maison de pierre, emblématique de la culture urbaine swahili, a joué à Anjouan un rôle central dans les processus de distinction des makabaila et l’on peut suivre son évolution grâce à des sources européennes remontant au xviie siècle, croisées à l’histoire orale et à l’ethnographie. Les transformations de la maison éclairent l’historicité du travail de construction hiérarchique, dont l’un des instruments était la clôture croissante des femmes. Forme concrète de la relation conjugale, la maison appartient à la femme mais le mari en est le maître. Elle révèle l’articulation de deux perspectives alternes sur l’organisation sociale : une conception autochtone cognatique centrée sur le groupe de descendance, versus une conception patrilinéaire en réseau. Elle apparait donc comme le lieu de production conjointe du statut et du genre à Anjouan.
Septembre 2011. L’université Paris Nanterre lance une invitation à participer à la construction d’un projet de « patrimoine numérisé en ligne » pour recenser et valoriser les fonds d’archives et les collections présents dans ses institutions et laboratoires : le Labex « Les passés dans le présent » se met en place. Numériser nos archives ethnographiques, bien sûr, nous avons commencé à le faire au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Lesc), bien que de façon ponctuelle, depu...
Le pasteur Lars Larsen Vig (1845-1913) fut missionnaire pour la Norwegian Missionary Society (NMS) à Madagascar de 1874 à 1902, avec une interruption de quatre ans pour un congé en Norvège, entre 1889 et 1893. Parmi les autres pasteurs de la NMS se trouvait son ami intime Arne Farteinsen Valen (1844-1902). Leurs archives, composées de manuscrits en norvégien et en malgache, sont déposées à l’école de la mission à Stavanger où ont été créés un fonds Vig et un fonds Valen. Lars Vig (...)
Ngazidja Island in the Comoros archipelago (in the south-western region of the Indian Ocean) is an example of a matrilineal and matrilocal Muslim society. This article addresses the various ways in which the Ngazidja people negotiate gender and family relations by referring to matrilineal or Islamic norms and values, and the influence of Islamic reforms and Western norms. Matriliny is linked to a local political organization based on an age system and a male political assembly. This link explains the specific way in which matrilineal and Islamic ideologies are linked. Marriage is ruled by Islamic law, but alliances between matrilineal descent groups follow other rationales. The existence of two matrimonial regimes illustrates this distinction. The conceptions of fatherhood produced in Ngazidja shed light on the key issue of male authority in matrilineal and Muslim contexts., L’île de Ngazidja dans l'archipel des Comores (océan Indien occidental) est un exemple de société musulmane matrilinéaire et matrilocale. L'article traite de la manière dont les gens de Ngazidja négocient leurs relations familiales et de genre en faisant appel à des normes et valeurs matrilinéaires ou islamiques ainsi que de l'influence des réformismes musulmans et des normes occidentales. La matrilinéarité y est liée à une organisation politique locale fondée sur un système d’âge et une assemblée politique masculins. Ce lien explique la manière spécifique dont les idéologies matrilinéaires et islamiques s'articulent. Le mariage est régi par la loi islamique mais les alliances entre groupes de descendance matrilinéaires dépendent d'autres logiques. L'existence de deux régimes matrimoniaux illustre cette distinction. Les conceptions de la paternité produites à Ngazidja éclairent la question clé de l'autorité masculine dans les contextes matrilinéaire et musulman.
L’article étudie les effets sociologiques et juridiques de la modification du statut civil de droit local à Mayotte, rendu similaire au droit commun lors de la départementalisation de l’île en 2011. Dépouillés de leur fonction de juges musulmans, les cadis enregistrent encore les mariages musulmans qui formalisent les normes morales et sociales mais sont désormais sans valeur légale. Le nouveau droit local modifie les définitions des liens de parenté (mariage, filiation) et de paternité, et contribue à renouveler les rapports de genre. L’immigration de Comoriens des îles voisines influe également sur les rapports de genre et sur la mobilité ou l’isolement des enfants mineurs.
Cet article traite du rôle spécifique joué par les makabaila de l’île d’Anjouan (archipel des Comores) dans les réseaux commerciaux de l’océan Indien. Musulmans lettrés urbains, marchands et grands propriétaires fonciers, ils sont en majorité composés de Bā ʿAlawī, des chérifs hadramis qui ont développé dès le xvie siècle des liens commerciaux intenses entre le Hadramaout et l’archipel de Lamu, et se sont établis à partir de la fin de ce siècle aux Comores. Les makabaila d’Anjouan ont fait de l’île une interface commerciale et maritime internationale grâce à une série de facteurs : la qualité des mouillages a favorisé l’enrichissement des villes portuaires et la transmission d’une culture lettrée maintenant l’idéologie élitaire. Malgré les domaines fonciers qu’ils contrôlaient, ils ont fait preuve d’un ethos déterritorialisé, de réseau, à la différence des autres populations comoriennes ritualisant leur lien au territoire. Leur adaptation à la colonisation française à la fin du xixe siècle éclaire les processus plus anciens. Grâce à l’éducation qu’ils avaient monopolisée, les makabaila ont conservé un statut dominant quand Anjouan est devenue un des grands sites mondiaux de production de plantes à parfum et, à l’indépendance, ils ont repris le contrôle de cette exportation, qui reste l’enjeu des dominations locales.
Dans l’archipel des comores, les îles de Ngazidja et Anjouan présentent deux cas contrastés de production des hiérarchies et de régulation sociale, contraste que la migration met en valeur. Les deux organisations sociales sont décrites ici, l’une comme un emboîtement complexe de hiérarchies capable d’absorber même les anciennes exclusions, l’autre comme un clivage difficile à réduire. Peuplées par des Africains bantous puis par des musulmans d’origine persane et arabe, les îles subirent ensemble le joug de la colonisation française. À Ngazidja, une organisation sociale et politique très élaborée et ne tenant pas compte de l’origine arabe évolua vers une intégration grandissante des dominés. À Anjouan, les musulmans d’origine hadramie développèrent une société urbaine lettrée et raffinée, élite commerçante dont les réseaux s’élargirent encore avec les escales européennes. La colonisation y renforça le fossé entre urbains et ruraux. La manière dont les deux sociétés insulaires font usage de la migration pour atteindre des buts économiques et sociaux en partie différenciés éclaire la permanence ou l’évolution des hiérarchies locales.
In 1999, Mayotte, a French island in the Comoro archipelago northwest of Madagascar, voted in favor of becoming a French overseas "department," even though few inhabitants opted for French civil law. Between 2003 and 2010, the local civil law was transformed albeit protected by the Constitution. Envisioned for quite some time, the reforms are similar to those adopted by several Muslim countries, although the method might be criticized. The population felt cheated by the suppression of this element of their culture. This article examines whether local civil law disappeared from Mayotte and if the population was deceived, or if a local definition still exists.
Ce chapitre propose une histoire des usages des monnaies aux Comores. Il rappelle la variété des monnaies qui circulaient dans l('océan indien et décrit la structuration commerciale de l’archipel avant de décrire l’usage de la monnaie d’argent dans le commerce extérieur des Comores, puis de préciser l'image symbolique revêtue par l’argent métal dans une économie peu monétarisée et les formes culturelles spécifiques sous lesquelles il était réinvesti dans la vie sociale. Il aborde enfin l'épisode paradoxal de l'émission de la monnaie du sultan Saïd Ali de Ngazidja avec le soutien de la France à la fin du XIXe siècle à la veille de sa déposition et son exil , avant de présenter finalement les monnaies en circulation au début de la colonisation.
The inhabitants of the Comoros archipelago, situated between the East African coast and the island of Madagascar, are Muslim and at the same time follow a matrilocal residence rule and, in two of the four islands, a matrilineal descent rule. This has consequences for women’s place in society, though their status and power varies according to their age and place in the social hierarchy, and with the political context. This article draws on three examples taken from specific island contexts to illustrate forms of agency accessible to the Comorian women. It shows how, having previously been invisible in political life, women played a leading role in Maore Island to escape the domination of the other islands’ elite by choosing to remain a French territory. It analyzes the way ceremonial exchanges in Ngazidja Island give elder and younger sisters different opportunities and place different constraints upon them in terms of how they behave and lead their lives. Finally, it shows the unexpected impact of an international program addressing Ndzuwani women on their empowerment in a patriarchal social context.
Présentation d'un ouvrage traduit de l'arabe qui se présentait dans cette langue comme une généalogie commentée des sharifs de l'île d'Anjouan, selon un modèle littéraire connu, et qui n'est donc pas à prendre comme un livre d'histoire mais comme un document à rapporter à l'auteur, un sharif anjouanais qui a recuilli de nombreux témoignage durant sa vie, et au contexte de sa production.
Dès les premières pages de ce livre original et vivifiant, l’auteur nous entraîne sur son terrain ethnographique mené dans un quartier pauvre de Ngambo à Zanzibar ville. En se liant d’amitié avec le jeune Sele, il suit les pratiques de l’uganga. Toujours réalisé en public, ce qui le distingue des pratiques privées qui confinent à la sorcellerie, l’uganga est défini comme un complexe rituel, une médecine, une cure, un soin, une thérapie de groupe. Le rituel le plus commun est le ngoma ya mashe...
La numérisation croissante des archives et des photographies ethnographiques anciennes ou contemporaines rend possible leur diffusion en ligne. Dès lors, outre la question de la gestion de la masse de données et de leur pérennité, se pose celle des formes à donner à cette valorisation numérique des archives et collections, de sa réception et des usages qui peuvent en être faits. Les technologies sans cesse en progrès de l’outil numérique, qui permettent de montrer les contenus des collections différemment de l’édition imprimée et de l’exposition, et qui s’affranchissent de la base de données hiérarchique, sont susceptibles de modifier le discours scientifique produit sur elles. Archives et collections en ligne sont aussi appropriées par divers publics, notamment les artistes, y compris dans les pays à partir desquels elles ont été constituées. D’autres discours peuvent alors les enrichir et leur donner une nouvelle forme d’existence.
La crise actuelle à Mayotte est composée des ingrédients habituels de pauvreté et de cherté de la vie, mais aussi de changement social et moral.
Mayotte, le dernier-né des départements français, le plus méconnu aussi, a connu ces deux derniers mois un conflit social sans précédent. Trop souvent réduit à la seule question migratoire, ce conflit témoigne aussi et surtout d’une gouvernance postcoloniale qui (re)produit sa part de violence en dessinant de nouvelles divisions sociales et régionales.
Le laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Lesc–UMR 7186, CNRS/Université Paris Nanterre), propose un dispositif de soutien aux candidat.es au concours 2025 au poste de chargé.es de recherche au CNRS se reconnaissant dans les perspectives scientifiques du laboratoire et souhaitant leur rattachement au Lesc en cas de recrutement. Plus d'informations ici