Comment les relations entre des êtres vivants issus d’espèces différentes se façonnent-elles ? Comment se stabilisent-elles dans le temps en dehors de procédés de domination évidents ? Les préjugés cartésiens sur le processus de domestication sont depuis longtemps déjà remis en question, pourtant la description des rouages de la fabrication des relations entre l’homme et les animaux, pour qui les perceptions et les processus d’encodage du sens diffèrent, peine à trouver une place au sein des sciences sociales. Au Népal, la qualité jugée indispensable pour devenir bouvier de yak est le khula man, littéralement, « le cœur ouvert ». Cette qualité morale s’acquiert avec le temps au travers d’un ensemble de techniques dont le but n’est pas d’atteindre un produit fini, mais de produire de la relation interindividuelle. Décrire et analyser la structure de ces relations demande de développer de nouvelles méthodes à la croisée de l’éthologie, de l’ethnographie et de l’analyse de réseaux. Les recherches sur les relations hommes animales dans les pratiques d’élevage se sont surtout concentrées dans l’aire mongole et sibérienne. Ce travail permettra d’étendre l’étendue comparative des systèmes de relations homme-animal et de comprendre l’influence d’un environnement différent. En se basant sur le système pastoral du yak dans la vallée de Manang au Népal, le but de Théophile Johnson est de mieux comprendre quelle est la part qu’impose l’animal dans le pastoralisme, et de documenter la géopolitique discrète des relations sur lesquelles se fonde la pratique de l’élevage en haute montagne. Il aimerait entreprendre une description de l’ensemble des relations bioculturelles, afin de documenter la négociation permanente qui préside aux relations entre les êtres vivants.
The domestic yak, a type of cattle native to the Himalayan region and Siberia, is known for its ability to withstand harsh climatic conditions at high altitudes and is primarily domesticated for its milk, wool, and meat. Most of the research on yaks has been conducted in China, where approximately 94% of the total estimated yak population can be found. In this study, the authors conducted an ethology study on the social behaviour of yaks in the Annapurna Valley of Nepal, where they are raised for their milk, wool, and meat and are also used for transportation. The authors used ethnographic inquiries to gather data on the social behaviour of yaks and the coping strategies used by herders to manage them. They also equipped cattle with one Actigraph wgt3x-BT to measure activity using an accelerometer and spatial associations using a proximity recorder. They found that yaks in both herds exhibited cohesive and synchronized behaviour, with similar activity patterns during the day and a peak of activity at night. They also observed that yaks in the first herd were more reactive to the presence of humans, while those in the second herd were more reactive to the presence of other yaks. The authors suggest that these differences in behaviour may be due to the different herding management practices used in each herd.
Within the broad category of agrarian fields, this paper focuses on smallholder communities making a living from mountain fields. Based on our three fieldwork experiences with herders in Nepal and farmers in Southwest China, we propose co-laboring as a fruitful ethnographic method to understand and account for the daily lives of farmers and herders dwelling in mountainous environments. We argue that the specificities of mountain environments shape the inextricable relationship between minds, bodies, and environments and thus are crucial for understanding the acquisition, transmission, and life-long refinement of skilled practices situated in mountainscapes. We show how these skilled practices are embedded in the sociality of communities of practice and evolve from daily interactions with domestic and wild animals, foraged plants and cultivated crops, and meteorological and topographical conditions on high altitude grasslands and steep slope cultivations. By presenting three vignettes that illustrate different aspects of co-laboring in mountain fields, we show where and how this method can be applied. In so doing, we intend to address the fact that the body is "not yet something through which research is often done" (Crang 2005: 232). We argue that it is not only possible but crucial to adapt our methodological resources and skills to mountain settings to produce more grounded ethnographies that grasp sensory and embodied ways of knowing.
In the Nepalese Himalaya, yak herding systems depend on cooperative interactions involving the shepherd with his animals. For the milking of the yaks, grazing and returning to the settlement, the shepherds are using inter-individual techniques aiming to build trust-based relationships over time. The construction of these relationships is negotiated on a daily basis between the two of them. Indeed, each of these relationships is lost if it is not nurtured. Strongly based on ethological results and studies on domestication mechanisms, this chapter will question the importance of setting up daily rituals and rhythms—as Erving Goffman (1974) has defined them for the human daily life—as a condition for extensive pastoral sustainability. At the same time, we will see how the shepherds organize their working life and their relationship with the yaks and their surrounding environment around strong moral values and a symbolic organization of the realm of life.
De nombreuses études traitent, sur plusieurs continents, de l’intérêt d’un élevage multispécifique, que ce soit en terme de diversité de la production ou surtout de l’adaptation à des environnements peu prévisibles et aux ressources rare. Ce qui ressort de ces études, c’est généralement la séparation des espèces sur le territoire, vouée à peu se croiser, quitte à pâturer sur les mêmes espaces mais à des moments différents. C’est à ce peu que nous nous intéresserons ici en présentant des espace-temps de rencontre à la teneur ethnographique riche. Nos études respectives nous ont permis de mettre en avant les points d’eaux et les campements comme lieux de socialisation où se joue l’apprentissage de règles du vivre ensemble inter-espèces. Si la bibliographie, en anthropologie notamment, fait état de l’importance du rapport des humains avec de très jeunes animaux dans les processus de domestication (Artaud 2013 ; Tani 1996), il est plus rare de trouver des informations sur les régimes d’interactions entre espèces non-humaines. Nous proposons l’hypothèse selon laquelle l’étude des modalités de socialisation des espèces entre elles, lors de leur enfance, sur les campements pastoraux, permettrait de particulariser les formes et la texture de vivre-ensemble spécifiques à chaque collectif pastoral.Nos études donnent une place importante à diversifier, durant l’enquête, les dispositifs de recueil de donné (avec l’utilisation de loggers, GPS et capteurs Bluetooth), et dans un second temps, aux possibilités de représentations dépendant des qualités ontologiques de chaque médium (cartographie, photographie, vidéo). En vivant et travaillant dans les groupes pastoraux, nous en sommes tous les trois venus à connaitre intimement les individus qui les composent, et nous recherchons actuellement des moyens plastiques, véritables outils d’écriture anthropologique, qui permettraient de rendre compte à la fois de l’irréductible individualité des êtres qui composent un troupeau, et de la non moins irréductible diversité des formes prises par les relations entre espèces dans ces collectifs. Notre travail sur la cartographie autant que sur la photographie, les envisage comme des médiums en devenir, c’est-à-dire à transformer pour rendre compte précisément de dynamiques saisies par l’ethnographie.
Le laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Lesc–UMR 7186, CNRS/Université Paris Nanterre), propose un dispositif de soutien aux candidat.es au concours 2025 au poste de chargé.es de recherche au CNRS se reconnaissant dans les perspectives scientifiques du laboratoire et souhaitant leur rattachement au Lesc en cas de recrutement. Plus d'informations ici