Publication
Habitants. Construire sa place ici et ailleurs
Présentation
Marie CHABROL, Pierre-Jacques OLAGNIER
Ce numéro de la revue Territoires En Mouvement invite à poser, ou reposer, la question de la place des habitants, problématique centrale pour comprendre les rapports que chacun d’entre nous entretenons et tissons avec les lieux.
Les habitants sont entendus comme des individus acteurs, participant, par leur présence même, à la construction du monde qui les entoure (Hoyaux, 2002), chacun et chacune faisant de ce dernier une expérience singulière (Besse, 2013 ; Lazzarotti, 2014). La place désigne la portion d’espace que chaque habitant occupe et correspond à cet « espace bien délimité auquel l’individu peut avoir droit temporairement et dont la possession est basée sur le principe du tout ou rien » (Goffman, 1973 : 46). Plus largement, la notion de place permet d’appréhender les modalités d’occupation des groupes dans leurs lieux de vie, les espaces habités s’organisant selon des logiques d’association (lignagères par exemple), de coopération, ou de ségrégation et d’entre soi. Michel Lussault souligne que la place « met en relation, pour chaque individu, sa position sociale dans la société, les normes en matière d’affectation et d’usage de l’espace en cours dans un groupe humain quelconque et les emplacements [qu’il] nomme les endroits, que cet individu est susceptible d’occuper en raison même de sa position sociale et des normes spatiales » (2009 : 127). La place que physiquement nous occupons ne se réduit pas à une simple portion d’espace et renvoie également à ce que nous sommes, ou plus exactement à la façon dont nous nous situons et sommes situés par les autres. Habiter c’est « se placer tout en plaçant les autres » (Hoyaux 2015 : 366), et c’est par l’interaction entre moi et les autres - autrement dit la cohabitation - que les places de chacun se définissent et évoluent.
L’analyse des mobilités, qu’elles soient choisies dans le cadre par exemple des déplacements touristiques, ou contraintes par les conflits ou la précarité économique, ouvre de nouvelles perspectives pour aborder la façon dont les individus se placent et sont placés. Touristes, migrants, travailleurs saisonniers, SDF, les individus mobiles habitent – de façon différente et selon des temporalités diverses – plusieurs lieux. Etre mobile c’est d’abord se déplacer – or, tout changement de lieu entraîne-t-il un changement de place ? Qu’est-ce-qui change ou ne change pas quand je me déplace ? Qui est déplacé par qui ? La question des identités est ainsi posée (Depeau, Ramadier (dir.), 2011). Le déplacement pour certains habitants signifie devoir reconstruire ailleurs sa place parmi les autres tout en préservant, ou renégociant son identité. Pour d’autres, par exemple cadres internationaux ou élites globalisées, se déplacer ailleurs ne suppose pas toujours de renégocier sa place. Enfin, sur un plan plus symbolique, le déplacement peut aussi être vécu et ressenti sans qu’il n’y ait de déplacement physique. Il peut ainsi matérialiser une dépossession face à un environnement changeant dans lequel on ne trouve pas ou plus sa place. C’est le cas par exemple d’habitants de quartiers en rénovation, dont l’environnement social et urbain change très vite et qui se sentent peu considérés dans leur nouvel environnement sans avoir eux-mêmes bougé. A l’inverse, le déplacement peut aussi être vécu comme un combat. Comment gagner une place et la tenir ? Comment occuper l’espace en y prenant place ?
A travers la question de la place, c’est le rapport que nous entretenons aux lieux et aux autres qui est interrogé. Ici ou ailleurs, nous pouvons nous sentir à notre place ou à l’inverse ne pas trouver notre place. Comment trouver, pour soi et pour les autres, une place… et si possible une/la bonne place ?
Cet appel à articles diffusé à l’automne 2018 a reçu de nombreuses propositions, témoignant de la pertinence et de l’actualité de ces interrogations, tant pour des chercheuses et des chercheurs confirmés que pour d’autres beaucoup plus jeunes dans la carrière universitaire, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. A total, douze articles composent ce dossier, justifiant ainsi un numéro double organisé en deux parties distinctes. Nous avons aussi eu le grand honneur d’y intégrer, au sein de la rubrique Perspectives, un long entretien réalisé par le socio-anthropologue Christophe Baticle de la chercheuse Nicole Mathieu, l’une des premières à s’interroger sur cette notion d’Habiter à laquelle elle a consacré – et consacre toujours - une grande partie de sa longue carrière.