Projets
Présence d'esprits
Présentation
Modes de présence des puissances invisibles dans l’Himalaya
Notre projet veut contribuer au renouvellement de l’étude des phénomènes de possession en général (incluant le chamanisme) à partir de l’étude des procédés de présentification des puissances invisibles incluant différentes formes matérielles (artefacts, manifestations naturelles) mais aussi certaines formes de récits, rituels ou pas ainsi que des configurations interactionnelles particulières. Ce projet est également comparatif et veut mettre en lumière les variations et des transformations de ces procédés dans les sociétés himalayennes.
Une des questions qui traversent l’histoire de l’anthropologie est celle du statut de réalité que les anthropologues, qui ne sont pas censés croire aux esprits, peuvent donner à ces puissances invisibles. Se priver de prendre au sérieux cet ordre de réalité, c’est se condamner à ne pas comprendre l’action des êtres humains qui en font l’expérience quotidienne ou bien les condamner, eux à une crédulité primitive. Les premières tentatives de réflexion systématique de ces phénomènes en anthropologie n’ont retenu que l’action du spécialiste rituel, chamane ou possédé, comme critère d’analyse (De Heusch, 1965) laissant de côté les puissances invisibles. D’autres auteurs au contraire accordent à ces dernières une existence transcendante à la manière de Mircea Eliade qui a vu dans le voyage du chamane une ascension mystique (Eliade, M. 1968). D’autres auteurs enfin proposent d’attribuer aux esprits le même statut de réalité que les personnes humaines. Soulignons que l’existence des esprits n’est pas sans rencontrer un certain scepticisme au sein même des sociétés qui recourent aux pratiques religieuses inspirées. Comment rendre compte du jeu complexe d'agentivités à l'oeuvre chez le possédé sans y adhérer ou à l'inverse, sans le vider de son sens ?
Dans le sillage d’un intérêt renouvelé pour les études de la culture matérielle, le statut ontologique des objets impliqués dans les situations rituelles est devenu un thème central de l’anthropologie contemporaine. Ces objets ne sont plus considérés dans une perspective symboliste ou sémantique comme des signes dont le référent serait extérieur à eux et qui n’existeraient que comme éléments passifs d’un réseau de significations. Ils sont analysés dans une perspective pragmatiste, c’est à dire en situation, afin de comprendre dans quelle mesure ils peuvent avoir un pouvoir propre, ou même une "vie sociale" propre. Cette approche a l’avantage de se rapprocher des pratiques des fidèles qui interagissent avec ces objets devenus, sinon des sujets, au moins des actants. Soulignons que cette approche interroge non seulement la dichotomie entre sujet et objet mais aussi celle entre matérialité et spiritualité. Compris dans la gestuelle qui leur donne sens, la prise en compte des objets permet un retour sur les humains qui les manipulent, leur confèrent une agentivité, la contiennent ou la dirigent, chacun à leur manière, selon qu’ils sont chamanes, possédés ou laïcs. Que révèlent les accessoires vitaux du chamane sur la conception de sa personne ? Et le sanctuaire vide de certains possédés dont l’antichambre est peuplée de figurines anthropomorphes sur celle du possédé ? Comment les multiples articles nécessaires au déroulement d’une séance de possession oraculaire voient-ils leur nature objective transformée pour devenir acteurs de la divination ? Comment comprendre qu’une divinité puisse acquérir une identité de personne avec sa subjectivité et ses émotions à travers son palanquin plus encore qu’à travers son médium ?
Les puissances invisibles se manifestent aussi dans la vie quotidienne au travers d'expériences de rencontre ou de communication, qui marquent le cours de l'existence et placent l'individu dans un réseau de relations multiples et de possibles à déchiffrer. Comment se structurent les récits qui relatent ces expériences? Quelles sont les correspondances qu'ils affirment, quels types de perception convoquent-ils, quelles images utilisent-ils ? En un mot, comment parle-t-on de l'invisible? Un exercice collectif et comparatif ainsi qu'une attention fine au vocabulaire peuvent-ils aider à dessiner des récurrences dans les diverses modalités par lesquelles la personne est affectée par les nombreuses catégories d'invisibles? Que font exactement les sorcières dans ce qui est dit d'elles ? Que partagent-elles avec les morts ou les esprits ?
Il nous semble que ces deux approches focalisées l’une sur la matérialité et l’autre sur la narration peuvent être à même d’interroger à nouveaux frais les phénomènes de « possession » et de « chamanisme » dont les appellations mêmes tendent à enliser la recherche dans les mêmes ornières.
Membres : David ANDOLFATTO (doctorant en archéologie à Paris-Sorbonne), Franck BERNEDE (chercheur indépendant, Centre d’Etudes Himalayennes), Daniela BERTI (chargée de recherche, Centre d’Etudes Himalayennes-CNRS), Serena BINDI (maître de conférence, Paris-Descartes), Pustak GHIMIRE (post-doctorant, Centre d’Etudes Himalayennes), Grégoire SCHLEMMER (chargé de recherche, Institut de Recherche et de Développement).Colloques
10 septembre 2015 : "L’interface homme-objet dans la présentification des puissances invisibles", 5e Congrés GIS-Asie https://congresasie2015.sciencesconf.org/6119218-21 décembre 2018 : colloque final de l'ANR, "Encounters with the Invisible: Revisiting Possession in the Himalayas in its Material and Narrative Aspects"