Depuis 2015 je mène des recherches de terrain dans la Zona da Mata Norte du Pernambouc (Brésil), une région fertile pour la canne à sucre, la violence, et la sorcellerie (macumba, catimbó). Pendant la période du Carnaval, les travailleurs ruraux qui pratiquent le Maracatu de baque solto – une performance-rituel qui peut réunir jusqu’à deux-cent personnes – se sentent vulnérables à diverses maladies, provoquées par l’« œil envieux » (olho grande, inveja) de leurs rivaux. Cela les pousse à mettre en œuvre de nombreuses stratégies défensives, mobilisant à la fois un savoir-faire religieux (jurema) et une esthétique élaborée et multiforme (décorations de costumes, poésie, musique, danse). Tout est fait pour « fermer le corps » (fechar o corpo) : dans ce contexte, « corps fermé » est synonyme de corps protégé, puissant, sain, invincible, tandis que l’expression « corps ouvert » fait référence à un corps faible, vulnérable aux attaques physiques et symboliques des rivaux.
Mon hypothèse est que ce « verrouillage corporel », tant sur le plan individuel que collectif, n’est efficace que lorsque les musiciens et les danseurs parviennent à un niveau exacerbé de coordination interpersonnelle, exprimée localement par le concept de « consonance » (consonância). À l’inverse, une action musicale ou dansée mal coordonnée génère des « trous » (furos) qui peuvent « fracturer » (desmantelar) le groupe, exposant ses membres à toutes sortes de problèmes de santé. Si cette hypothèse n’a rien d’étonnant, il est plus complexe de montrer comment elle se traduit sur le plan formel de l’analyse musicale et choréologique. Elle ouvre aussi sur des questionnements plus généraux dans le domaine de l’anthropologie des émotions et de la santé : coordonner des intentions et des mouvements dans une action commune, ne serait-il pas le meilleur antidote contre l’envie – émotion sociale qui peut être comprise comme l’exact contraire de l’empathie ? Manipuler la perméabilité corporelle, ne serait-elle pas une stratégie commune à des nombreuses théories et pratiques thérapeutiques du monde? Si les sons y jouent un rôle souvent central, serait-ce (aussi) parce qu’ils permettent de manier des oppositions conceptuelles telles « ouvert vs. fermé » et « entrée vs. sortie » ?
Le séminaire du CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie) a lieu deux lundis par mois, de 10h à 12h. Les chercheurs (doctorants compris) membres du CREM ou invités de passage y présentent leurs travaux en cours. Les présentations durent 50 minutes, et sont suivies d’une pause café et d’une heure de discussion.
Occasionnellement, le séminaire prend la forme d’un atelier rassemblant plusieurs chercheurs autour d’un thème commun. Il dure alors un après-midi ou bien une journée complète.
La participation au séminaire est ouverte à tous. Il fait par ailleurs partie du cursus des Master d’ethnomusicologie des universités Paris Nanterre et Paris 8 Saint-Denis.