Avec Florent Wattelier
Depuis plusieurs décennies, une forme de globalisation culturelle entraine la circulation de plus en plus rapide de genres musicaux exogènes dans les villages amérindiens (teko et wayãpi) de la vallée de l’Oyapock dans l’est des Guyanes. Zouk, konpa, reggae, dancehall, brega, rap, … Tous ces genres font aujourd’hui partie des habitudes d’écoute des jeunes gens et de leurs aînés au quotidien, et lors des réunions de boisson. Depuis peu, cependant, la réappropriation de musiques importées a pris une nouvelle forme et ne se limite plus seulement aux pratiques d’écoutes : de jeunes gens chantent maintenant dans leur(s) langue(s) leurs aspirations sur des pistes instrumentales de reggae, de dancehall ou de rap. Les titres enregistrés circulent de village en village depuis leur foyer de production et intègrent ainsi les répertoires d’écoute des réunions de boissons, côtoyant des objets musicaux globalisés issus des plus grands studios régionaux (Caraïbes) ou mondiaux (Etats-Unis, Europe).
Là où il y a encore quelques années, enregistrer un titre pour les chanteurs imposait de recourir aux services d’un spécialiste tiers, il est aujourd’hui possible de graver ses inspirations par soi-même, sans apparente intermédiation, sur le moment et sans formation aux techniques de prise du son grâce à son smartphone. La miniaturisation de la technologie permet aujourd’hui aux jeunes chanteurs de se promener avec leur studio d’enregistrement dans la poche. L’accessibilité (gratuité et disponibilité des applications sur smartphone) et la facilité d’utilisation (pas besoin de connaissances d’ingénierie sonore) permettent une production rapide et testimoniale des inspirations musicales. Le musicien se situe ainsi dans cette position paradoxale où il se trouve dans une forme de dépendance vis-à-vis de l’extérieur (pour le développement de la technologie d’enregistrement, et pour l’offre de pistes instrumentales sur lesquelles poser sa voix), mais en même temps dans un réseau bien plus resserré dans son lien entre les prémices de sa créativité et la pièce musicale en tant qu’objet de diffusion sorti du studio.
Cette communication sera l’occasion de présenter les avancées d’une recherche s’appuyant à la fois sur mon travail de thèse et sur les données plus récentes issues à mon dernier séjour sur l’Oyapock en juillet-août 2022. A partir de l’observation des transformations rapides à l’œuvre dans le champ des musiques enregistrées sur le moyen Oyapock, je proposerai des pistes de réflexion afin de comprendre ce qu’une pratique musicale portée finalement par un nombre réduit de musiciens fait pour les habitants du moyen Oyapock dans leur ensemble, et pour la jeunesse en particulier. Je m’attarderai également sur les défis méthodologiques propres à une recherche sur des objets musicaux numériques, en particulier sur le suivi des circulations desdits objets.
Illustration : Fernando Yakali s’enregistre avec son smartphone. Image fixe tirée du film « Camopi One » de Laure Subreville (2022).
Le séminaire du CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie) a lieu deux lundis par mois, de 10h à 12h. Les chercheurs (doctorants compris) membres du CREM ou invités de passage y présentent leurs travaux en cours. Les présentations durent 50 minutes, et sont suivies d’une pause café et d’une heure de discussion.
Occasionnellement, le séminaire prend la forme d’un atelier rassemblant plusieurs chercheurs autour d’un thème commun. Il dure alors un après-midi ou bien une journée complète.
La participation au séminaire est ouverte à tous. Il fait par ailleurs partie du cursus des Master d’ethnomusicologie des universités Paris Nanterre et Paris 8 Saint-Denis.